Le
22 décembre 2008 :
(12:59
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte de Masse) Pour
le correspondant en France du magazine Der Spiegel, Nicolas Sarkozy
est une calamité pour les Français.
Ivre de pouvoir, il est – selon lui – en train de mettre à
mal les fondements démocratiques du pays.
La
question de savoir s’il arrive à Nicolas Sarkozy de dormir s’est une
nouvelle fois posée ces dernières semaines, pendant lesquelles le
président français s’est attelé à sauver la planète. On l’a vu sur
toutes les chaînes de télévision, à la une de tous les journaux,
avec Merkel et Barroso, avec Brown et Zapatero, avec Bush et
Medvedev. Il s’est assis à la table de toutes les réunions avec le
plus grand sérieux, est apparu l’air parfaitement réveillé derrière
tous les pupitres, s’est exprimé devant le Parlement européen et
devant les Nations unies, parlant comme toujours d’une voix forte et
claire, proposant des plans pour en finir avec la crise financière
et économique mondiale, des idées et des paquets de mesures pour
relancer le système mondial après le naufrage. Même ceux qui n’ont
prêté qu’une attention distraite aux faits et gestes de Sarkozy ne
peuvent qu’arriver à la conclusion suivante : voilà un homme
d’action, l’un des dirigeants politiques les plus énergiques de
notre époque.
La
présidence française de l’UE s’achève, Sarkozy devra revoir ses
ambitions à la baisse. Déjà, il a renoué avec la politique
intérieure et présenté avec force roulements de tambour un plan de
sauvetage national, dont le but est de rassurer la population, mais
qui convainc peu d’économistes. La France était à l’aube d’une crise
majeure dès avant la crise. La politique et l’économie ont couru
après des réformes manquées. Le déficit du commerce extérieur et la
dette publique atteignent des sommets. L’impression d’être mal armé
pour les temps difficiles qui s’annoncent se renforce dans le pays,
et la cascade d’apparitions toniques de Sarkozy ne peut faire
oublier que son Premier ministre, François Fillon, avait sobrement
constaté, voilà plus d’un an, que la France était quasiment en
faillite.
Avec la démocratie, c’est Montesquieu qu’il assassine
Et
tout cela alors que le “téléprésident”, “l’omniprésident”,
“l’hyperprésident” n’a cessé de promettre des lendemains qui
chantent depuis son entrée en fonctions, en mai 2007. Résultat : la
société française s’est scindée en deux camps ennemis. Si
l’on en croit les sondages, une petite moitié des Français est
satisfaite du président, tandis que l’autre moitié, grosso modo,
pense qu’il est une catastrophe pour le pays. Les seconds
ont de bons arguments, peut-être les meilleurs. Contrairement à
l’Allemagne, dont la démocratie est fondée sur le consensus, la
France est encline à la confrontation, et c’est Sarkozy lui-même qui
a fait sortir le mauvais génie de sa bouteille en faisant de la
“rupture” l’objectif premier de son action.
Ce
qui était encore perçu comme libérateur pendant la campagne
électorale devient aujourd’hui de plus en plus oppressant. Car le
président ne met pas seulement un terme aux pires traditions
françaises, mais aussi aux meilleures. Toujours en invoquant les
valeurs suprêmes, les plus beaux idéaux, les meilleures intentions,
Sarkozy triture le corps vieilli de la démocratie française et
commence à inciser dangereusement près des organes vitaux. Des
fondamentaux démocratiques sont aujourd’hui en péril, tels que la
séparation des pouvoirs, la liberté de la presse, la protection des
minorités. C’est Montesquieu qui se trouve remis en question, lui
qui disait voilà bientôt deux cent cinquante ans que la vertu était
le fondement de toute démocratie. Sans vertu, écrivait-il, l’Etat
devient la “proie” du pouvoir.
Quatre scènes de la France d’aujourd’hui.
Scène 1 :
le manifestant Hervé Eon est traîné en justice et condamné [à 30
euros d’amende] pour “offense au chef de l’Etat” après
avoir brandi une pancarte ornée d’un “Casse-toi, pauvre con”
lors d’une visite de Sarkozy en province.
Scène 2 : le quotidien Le Figaro, propriété de
Serge Dassault, un marchand d’armes proche de l’Elysée, publie une
photo retouchée de la ministre de la Justice, Rachida Dati. Une
bague d’une valeur de 15 600 euros brille par son absence au doigt
de la garde des Sceaux.
Scène 3 :
après une manifestation de nationalistes corses sur la propriété de
Christian Clavier, un comédien proche de Sarkozy, le patron de la
police corse est limogé sur ordre de Paris.
Scène 4 : l’ancien directeur de la publication de
Libération est arrêté à l’aube et menotté pour un commentaire
d’internaute paru deux ans plus tôt. Il est traité de “racaille”
par les policiers et doit se soumettre à plusieurs fouilles au
corps.
Des ministres qui font office de chefs de rayon
Le
pays est aujourd’hui le sujet de comptes rendus dont certains
rappellent l’Amérique du Sud des années 1970. Après une visite des
prisons françaises, le commissaire européen aux Droits de l’homme,
Thomas Hammarberg, ne s’est pas contenté de trouver
“inacceptable” la situation carcérale ; il a également reproché
à la politique judiciaire française d’agir en contradiction avec les
“droits humains fondamentaux”. Cet été, pièces
justificatives à l’appui, Human Rights Watch a brossé un sombre
tableau des procédés de la police française, jugés brutaux, et
notamment de ses méthodes d’interrogatoire. Il se passe en France
quelque chose de tout à fait inquiétant.
Après les années de plomb, sous Jacques Chirac – qui furent, avec le
recul, des années immobiles mais douillettes –, un nouveau style
politique a fait une apparition fracassante avec Sarkozy. Un style
qui porte préjudice à la grande culture démocratique du pays. Le
discours politique se radicalise, comme si Sarkozy et ses camarades
de combat avaient été à l’école de George W. Bush. Leur credo est le
suivant : ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.
L’axe du mal version Sarkozy se compose des syndicats, des
journalistes, des juristes, des étudiants, des scientifiques et des
immigrés, qui risquent, dans le pire des cas, d’avoir un aperçu
musclé du nouvel esprit en vigueur dans les salles d’audience et les
commissariats.
La
réforme des institutions qui vient d’être adoptée en France ne peut
que renforcer cette inquiétude. La Constitution, originellement
destinée à conférer plus de droits au Parlement, a au moins renforcé
dans les mêmes proportions le rôle déjà considérable du président et
réduit le pouvoir du gouvernement. Celui-ci, nommé par le président,
sert aujourd’hui de cabinet privé de l’Elysée, dont la
toute-puissance fait penser au Versailles des rois de France.
Sarkozy peut se rendre seul aux conférences des chefs d’Etat et de
gouvernement. Cela fait longtemps qu’il porte les deux casquettes,
et ses ministres ne sont depuis le début que ses chefs de rayon.
Enivré par le pouvoir, Sarkozy se sent des compétences pour tout. Il
prononce des discours sur la maladie d’Alzheimer et la psychiatrie,
sur l’industrie automobile, sur le logement, sur l’urbanisme,
présente des projets pour une croissance durable et contre la misère
; il a une vision de l’avenir de l’Afrique, et une des chances du
Québec ; il a son idée sur l’éolien, sur le Tibet et sur le rugby.
Et, lorsqu’il n’a vraiment rien à faire, il demande à l’Unesco
d’inscrire la gastronomie française au Patrimoine de l’humanité. Ses
discours et ses projets sont rarement ceux que l’on pourrait
attendre d’un homme d’Etat. Eternel candidat en campagne, il est
toujours à l’affût du prochain conflit. En ces temps
troublés, il manque au système politique français une figure
apaisante, un cadre de référence fiable, une instance neutre.
Si
Sarkozy était au moins l’homme d’action pour lequel il se fait
passer, le champion de l’intérêt général, on pourrait minorer ce
type de projets. Mais la situation se trouve encore aggravée par le
fait que, depuis son arrivée au pouvoir, le président semble avoir
oublié ce qu’il avait promis aux plus défavorisés, alors qu’il a
tenu scrupuleusement tous les engagements qu’il a pris auprès des
privilégiés.
Il
n’est pas le “président de tous les Français”, mais plutôt
un chef de clan parvenu à la fonction suprême. Tout naturellement,
ce devrait être l’heure de l’opposition. Or – et c’est aussi ce qui
met en difficulté la démocratie française – celle-ci n’existe plus.
Les socialistes, seuls capables de mettre sur pied une alternative
pour la prochaine présidentielle de 2012, sont passés tout près de
la dissolution. Incapable de régler ses querelles internes,
terrorisé par les ambitions de ses éléphants, jeunes ou vieux, le
parti ne fait, pour l’heure, plus partie des options.
Sarkozy et ses partisans n’ont cependant pas de quoi jubiler. En
effet, chaque fois que des situations conflictuelles de ce type sont
apparues, que la machine politique s’est grippée, le peuple français
s’est toujours manifesté. Cela fait tout juste trois ans que les
banlieues autour de Paris s’enflammaient et que le gouvernement
proclamait l’état d’urgence. Depuis, aucun des problèmes qui avaient
conduit à la révolte n’a été abordé sérieusement. Sarkozy, qui avait
promis un “plan Marshall”, ne veut plus entendre parler de ce
dossier.
Au
lieu d’argent, d’économistes, d’urbanistes, d’architectes et
d’enseignants, il envoie de nouvelles unités de police dans les
quartiers socialement défavorisés. Ces précautions pourraient
cependant se révéler prochainement utiles, car la grogne monte,
palpable.
Les
forces de la désintégration déchirent la France plus que tout autre
pays, car la société française est un mélange bigarré d’ethnies, de
religions et de citoyens à la pensée libertaire rafraîchissante,
mais le ciment qui maintenait le tout s’effrite. Le processus avait
commencé avant Sarkozy, mais le président n’a rien entrepris pour le
ralentir, l’atténuer ou créer du lien. Au contraire : en divisant
pour mieux régner, il sape un peu plus la cohésion nationale. Et
l’évolution actuelle démontre d’une façon exemplaire que la
démocratie et l’Etat de droit ne vont pas de soi mais doivent être
reconquis chaque jour, entretenus et parés de sens, de volonté et de
vertu. L’Allemagne l’a appris d’une façon plus amère que tout autre
pays. La France, qui s’est le plus souvent trouvée du bon côté de
l’Histoire, doit aujourd’hui prendre garde de ne pas l’oublier.
Le Courrier International – 18/12/08 - Ullrich Fichtner -
Der Spiegel
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Unità Naziunale, Archives du site.
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