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PROMOTEURS, ELUS, PREFECTURE CONTRE LES ASSOCIATIONS DE DEFENSE DE L’ENVIRONNEMENT   DEVANT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES  FRANCAISES
A propos de SPERONE-PIANTARELLA et RONDINARA.

Par Charles MARCELLESI, Président de l’Association de Défense & de Valorisation du Patrimoine Naturel et Historique de la Corse

Le 17 juin 2008 : (12:59 Unità Naziunale, www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte de Masse)  En matière de protection du littoral tout annonce l’imminence d’un passage à l’acte contre la Corse, ses habitants et son patrimoine naturel, et cela de la part  des élus et des responsables institutionnels de l’Etat français  qui s’apprêtent aujourd’hui à  faire une règle de ce qui a été durant les vingt années écoulées une violation constante et systématisée de la «  loi littoral » qu’ils avaient la charge de respecter et de faire appliquer.

·        Un dossier illustre bien ce parti pris de contournement de cette loi, le programme immobilier de Sperone Piantarella  déclaré illégal par le conseil d’Etat car réalisé selon un POS de la commune de Bonifacio déclaré lui-même illégal .

·        La parution d’un livre de jurisprudence commentée (« LOI LITTORAL ET LOI MONTAGNE », par Norbert Castanero, Vice Président du tribunal administratif de Nice) permet de mesurer l’action des associations de défense de l’environnement de l’Extrême Sud de la Corse à partir des années 1990, notamment pour ces deux dossiers emblématiques que sont ceux de Sperone-Piantarella (extension d’urbanisation) mais aussi de Rondinara (création d’urbanisation).

·        L’examen de ces deux dossiers permet de constater une solidarité de vues, de conceptions en matière d’urbanisme (et incidemment de protection de l’environnement), entre les   promoteurs, les élus, la Préfecture chargée du contrôle de légalité, le Tribunal Administratif de Bastia (formant  ensemble un système de prise de décision), et cela contre le mouvement associatif et plus particulièrement  l’Association de défense, de protection, de valorisation du patrimoine naturel et historique de la Corse, que j’ai présidée pendant 10 ans. Toutes les décisions du TA de Bastia ont été annulées par les juridictions administratives d’Appel (Cour d’Appel administrative de Lyon puis de Marseille, Conseil d’Etat). Mais le délai de déroulement des procédures(1993-2003) a permis un début conséquent de réalisation de certains de ces projets immobiliers, surtout à Sperone-Piantarella  tandis que Rondinara devait être déclaré inconstructible par le conseil d’état et finalement racheté par le Conservatoire du littoral

·        Ce contournement systématique de la loi littoral mise en œuvre à Sperone-Piantarella   s’appuie sur un discours que l’analyse permet de repérer :la vérité de ce discours (la recherche par les promoteurs de la plus value spéculative sur les sites corses au prix de la transgression de la loi littoral), ses agents (élus, Préfet, TA de Bastia), ceux auxquels il s’adresse- une population corse qui doit  savoir affronter les conséquences sociales des mutations économiques de la mondialisation  et ce qu’il produit -une perte de la qualité et de la jouissance du cadre de vie .

1.     Commençons par ce qui se donne comme  vérité de ce discours, à savoir le mécanisme de  réalisation de la plus value impliquant nécessairement dans un premier temps  l’appropriation de la partie la plus significative du patrimoine paysager de la Corse et de ce qu’il y a de plus expressément protégé par la loi littoral, et cela au profit d’une riche clientèle (Jet society) ;   dans un second temps est programmée la dégénérescence de ces programmes immobiliers par extension incontrôlée de l’urbanisation à l’arrière des zones déjà  construites et « amorties » avec souvent changement d’agent immobilier et passage à des intérêts occultes : Cavallo a été l’illustration de cette séquence et les golfs au centre des programmes immobiliers qui ont rejeté sur les zones littorales les plus sensibles de fortes densités de construction, sont en fait des réserves foncières pour une urbanisation future.

2.     Quels sont les agents de ce discours ? dans le dossier Sperone-Piantarella  on voit bien qu’il s’agit d’un système de prise de décision en matière d’aménagement du territoire incluant : les élus, le Préfet au niveau de l’exercice du contrôle de légalité, le Tribunal administratif de Bastia dont toutes les décisions ont été dans ce dossier annulées par les cours d’appel administratives et par le conseil d’Etat.

Les élus ont par deux fois refusé d’exercer la principale compétence que leur donnait la réforme institutionnelle de la  régionalisation, à savoir d’établir un schéma d’aménagement de la Corse conforme à la loi littoral, ce que l’état  a du formaliser à leur place par décret en conseil d’état. Contre la majorité de l’opinion insulaire et parce que quelques représentants d’activités locales dépendantes du  tourisme extensif siègent en grand nombre dans les conseils municipaux, ils ont conclu entre eux un pacte tacite  dont la teneur découle de l’adhésion non avouée à la philosophie du fameux rapport de l’Hudson Institute et du projet de schéma d’aménagement de 1971:ce dernier  constatait que l’acquisition des terres littorales avait été effectuée par les promoteurs dans les années 1960 et que la construction des programmes immobiliers ne dépendait désormais que de la réalisation des équipements collectifs à la charge des collectivités locales. Là où la « mobilisation » des terrains n’avait pu se faire (dans le cas par exemple d’indivision dans les communes de l’extrème sud : indivision villageoise de Piccuvaghja à Portivecchju, propriétés de l’hôpital local de Bonifaziù, constitué au fil du temps par les legs des bonifaciens et âprement convoités et trafiqués par des « échanges compensés » entre Hôpital, commune et particuliers, vastes espaces des anciens fonds latifondiaires à Sartè), était préconisée une politique foncière d’acquisition par le conservatoire du littoral aux fins de combiner aménagement et protection, chaque site, aussi prestigieux soit-il devant apporter son tribut à la « promotion », la protection devant se contenter des zones vraiment inutilisables : l’aménagement du Lido et des côteaux ensoleillés de la baie de Santa Giulia avec l’acquisition de l’étang et des zones abruptes de Punta di raffaello par le conservatoire du littoral illustrent cette politique, vérifiée également dans le site inscrit de Palumbaghja, à Arasu ,et à Bonifacio par l’acquisition par le conservatoire de la paroi verticale des falaises, etc…Les élus dans les années 1970 s’étaient donc partagé les rôles :   initialement c’est  aux « radicaux » du nord qu’était confié   le contrôle des outils de gestion des espaces protégés créés en application des directives européennes (Parc Régional, Réserves Maritimes…) et la présidence du conseil des rivages(composé d’élus) chargée d’orienter les acquisitions du conservatoire du littoral. La contre partie était que les maires des communes littorales puissent s’opposer à toute législation diffuse et règlementaire telle la loi littoral( illustrée par le refus de Jean-Paul de Rocca Serra de faire le POS de Porto-Vecchio) et se contenter en matière de protection des acquisitions ponctuelles du conservatoire du littoral, toujours combinées avec des projets immobiliers qui les jouxtent . Cavallo est également l’un des  symboles de ce pacte : c’est l’Association des amis du Parc Naturel Régional de la Corse qui avait soutenu le principe de l’urbanisation de Cavallo au sein d’une Réserve Naturelle. Actuellement ce pacte consiste au niveau de l’assemblée de Corse a laisser la gestion des grandes villes Ajaccio et Bastia au clan de gauche tandis que se constitue l’axe de décision des « bâtisseurs » à la collectivité territoriale entre  Balagne et Extrème sud, c'est-à-dire l’axe Santini-Rocca Serra. La répartition étonnante, au vu des votes exprimés par les électeurs, des mandats électifs de députés et de sénateurs s’explique également en partie par ce pacte tacite.

Ce fonctionnement consacre les pouvoirs locaux des maires et situe le véritable niveau de décision en matière d’aménagement du territoire au niveau des communes . Mais le maire est alors confronté à une donnée incontournable : l’état de la propriété foncière dans sa commune. En dehors des différents territoires indivis déjà évoqués la situation est très différente à Portivecchju où prévaut le morcellement de la propriété foncière en petites parcelles  de 5 à 15 ha en moyenne ,( à l’exception notable du Domaine San Marco) ce  qui a permis à l’outil foncier de rester en partie aux mains des corses. A  Bonifaziù , c’est  par dizaines et centaines d’hectares que de vastes parcelles littorales ont été acquises par le groupe AXA à Rondinara, la banque Lefebvre à Balistra, le promoteur Devèze à Balistra et Sperone,  sans parler de la CODIL à Cavallo, reléguant les propriétés restées aux bonifaciens sur le beau plateau calcaire du Piale. A Sartè enfin, se joue l’avenir de vastes espaces actuellement gelés(autour de Tradicettu et capo di Zivia, à l’embouchure de l’Ortolo) pour éviter une situation à la bonifacienne, tandis qu’il existe une petite zone de parcellaire foncier divisé dans le golfe de Tizzano, le tout encadré par les grandes acquisitions du conservatoire du littoral de Campomoro Senetosa et de Roccapina.

Le POS de Bonifacio ouvrait à l’urbanisation les espaces littoraux (acquis par les promoteurs) à coups de POS partiels. trois dispositions majeures de la loi littoral (art L146-4-II) y étaient systématiquement contredites à la faveur de ces « POS partiels » : 1°- l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. Selon une jurisprudence établie de longue date par le conseil d’état (12/02/1993, Commune de Gassin), on considère comme espace proche du rivage ce qui est situé à une distance de 500m à 1000 m du rivage, même s’il en est séparé par une ligne de crête ou une zone déjà urbanisée…et comme critère d’extension limitée la SHON, la surface hors œuvre nette des constructions envisagées, fixée à 10 000 m²   2°- ces POS partiels n’étaient pas compatibles avec le schéma d’aménagement de la Corse dont le conseil d’état a rappelé qu’il devait être conforme à l’article L146-4-II sus cité . 3°- cette extension non limitée de l’urbanisation n’était pas compatible avec l’implantation, l’importance, la densité et la destination des constructions projetées ainsi que des caractéristiques topographique des parties concernées de la commune, c'est-à-dire le caractère remarquable des lieux : les sites exceptionnels de Rondinara et Sperone-Piantarella.

A Sperone-Piantarella les constructions débutaient à 70 m de la rive interne de l’étang de Piantarella et représentaient une SHON de 43000m²  sur la zone de 13,30 hectares ouverte à l’urbanisation( on est donc loin des 10000m² de SHON retenus comme critère d’extension limitée de l’urbanisation par le conseil d’état), en précisant que  le pourtour des 78 hectares des pelouses du golf avait déjà été construit : 3 lotissements de 50 lots sur 14 ha (1970), 38 lots sur 12 ha (1986) et 27 lots sur 12ha (1989).

Le Préfet en contradiction avec le schéma d’aménagement de la Corse avalisé par le conseil d’état comme devant être conforme à la loi littoral,  n’exerça pas le contrôle de l égalité dans le sens d’une défense du principe du caractère limité de l’urbanisation dans un espace proche du rivage ; pire,  le 5 juillet 2001, le Préfet Lacroix, alors même que la cour d’appel administrative de Marseille avait déclaré illégal le POS partiel de Bonifacio et le projet immobilier de Sperone dans son ensemble , défendait ainsi l’extension non limitée de l’urbanisation en ces termes, en précisant que le projet immobilier de Sperone prévoyait une partie des constructions en immeubles (« le hameau ») et l’autre en villas individuelles (« la colline ») : « Comme vous le savez, je ne partage pas le point de vue de ceux qui voudraient que le jugement rendu sur le « hameau » implique l’arrêt sur la «  colline ».Il y a trop de différence entre les deux dossiers. Le POS censuré par la cour administrative d’appel n’est plus celui en vigueur aujourd’hui. La Cour a estimé qu’un programme de 40000m² dépassait ce que permet la règle de l’ « extension limitée » ; il est difficile de transposer cette appréciation à la « colline » qui fait 5000m² » etc.etc… (N.B. : la « colline » fait partie des 40000m² !)

 

Reste le Tribunal Administratif de Bastia, dont les décisions non suspendues par la procédure de l’appel, donnent le temps nécessaire à la réalisation des projets immobiliers. Une question intéressante serait de voir   quel est le taux de décisions des tribunaux administratifs jugeant les projets immobiliers de quelque importance sur  les côtes méditerranéenne et d’Aquitaine annulées in fine en conseil d’état et quel est alors le taux de décisions annulées du TA de Bastia par rapport à celui des autres régions. La procédure de Sperone-Piantarella a duré 10ans : le Tribunal administratif de Bastia avait dans un premier temps déclaré irrecevable , au motif de l’absence d’intérêt à agir, les actions de l’association de défense .Il fallut attendre le 24 /10/ 1997 pour que le conseil d’état déclare l’action de l’association recevable, puis le 14/11/2003 pour que le POS et le projet immobilier soient jugés illégaux par le même conseil d’état. Dans son guide de jurisprudence comparée, Norbert Calderaro semble ironiser en invoquant le caractère « limite » des arguments du TA de Bastia : pour celui-ci en effet, le territoire de la commune de Bonifacio est tellement exceptionnel d’un point de vue paysager que la zone de Sperone-Piantarella n’est pas plus exceptionnelle que le reste ! En effet : « que cependant d’une part , la partie de cet ensemble, classée dans la zone constructible INA, d’une superficie de 133000 m² où la surface hors œuvre nette (SHON) qui est limitée à 43000m², n’est pas incluse dans le périmètre de la ZNIEFF et que, d’autre part, elle ne peut être regardée comme un site remarquable , au sens des dispositions législatives précitées, compte tenu de sa banalité eu égard à l’exceptionnelle richesse naturelle de la région Corse et notamment celle de l’ensemble du territoire de la commune de Bonifacio ».

Ainsi, en dépit d’une jurisprudence sur le caractère limité de l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage et du respect du caractère remarquable des sites, jurisprudence  depuis longtemps établie en conseil d’état, élus, Préfet et Ta de Bastia se sont allègrement assis dessus. Cela laisse mal augurer de la suite.

3.     A qui s’adresse ce discours de la réalisation d’une plus value sur les sites remarquables corse, en transgressant la loi littoral par un système de prise de décision comprenant élus, Préfet et TA de Bastia  ? à une société insulaire à laquelle on laisse le savoir de pouvoir affronter la crise  qui vient des conséquences des mutations économiques de la mondialisation, ici amplifiées, société insulaire que l’on considère suffisamment affaiblie pour ne plus redouter sa capacité de riposte alors que son hostilité déclarée à toute modification de la loi littoral est connue.   En Corse la vie est  15% plus chère que sur le continent, les salaires dans le privé 30% moins payés qu’ailleurs, les  logements hors de portée des plus modestes . Cette situation de crise est aggravée par la politique de militarisation et de sur administration de l’île qui permet d’utiliser par exemple des hôpitaux comme gisement d’emplois pour des clientèles claniques alors qu’il faudrait en même temps les convertir en entreprises productiviste  comme le veut la logique libérale . Il en est de même pour les collectivités territoriales, où les impôts locaux des Corses continuent de financer ce traitement de la crise sociale et du chômage structurel par les clans. Plus inquiétant, la priorité donnée à la lutte contre les nationalistes a laissé se développer et prospérer l’implantation dans des secteurs clés de l’économie insulaire des intérêts mafieux.

4.     Qu’est ce que produit ce discours ?  Assurément la perte de la jouissance par le peuple corse de cette richesse que constitue son cadre de vie, perte qui ne se traduira par aucune compensation économique réelle d’augmentation du niveau de vie et de bien être . Voici ce que dit Jacques Orsoni, professeur des universités, agrégé en sciences de gestion  à propos du choix du tout tourisme : «  on verrait fleurir de monumentaux établissements appartenant aux puissants groupes hôteliers ou de la restauration mondialisée(…).A la périphérie : des lieux de loisirs de tous ordres : des golfs,des parcs à thème, des maisons de jeux, des boites de nuit.  » en précisant les raisons pour lesquelles la population de l’île est hostile à ce modèle de développement : « Tout d’abord une raison écologique. Ce type de développement pèse lourd sur la nature ; il détruit le littoral et dévore faune et flore .De plus il contribue à défigurer le paysage et , comme on dit, à « baléariser » le bord de mer.

La seconde raison s’applique à la société. Un tel tourisme détruit l’originalité des cultures. Il folklorise et tue les mœurs et des traditions authentiques qu’il recouvre d’une « macdonaldisation » benoîte mais arrogante.

La troisième raison est éthique. On craint de voir des capitaux mafieux s’investir, avec délices, dans ce tourisme de grande échelle, entraînant la corruption des hommes publics et des particuliers.

La quatrième raison est de nature économique .Certes un tel tourisme de grande dimension peut présenter un effet multiplicateur sur quelques activités locales. Mais il a le défaut d’être, comme Don Juan, infidèle .Si les affaires diminuent, les grandes firmes abandonnent sans scrupule, le territoire jusqu’alors cajolé .Enfin il n’est pas créateur d’emplois de bon niveau, mais plutôt de métiers pauvres, de « poor jobs », socialement peu valorisants. 

·         Alors , qui veut de ca ?

 

Charles MARCELLESI,
Président de l’Association de Défense & de Valorisation du Patrimoine Naturel et Historique de la Corse

 

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