Le
26 novembre 2008 :
(12:59
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte de Masse) Projet
d’avis relatif au Projet de Padduc (Plan d'Aménagement et de
Développement DUrable de la Corse) soumis au CESC par l’Exécutif de
Corse.
Préambule
• La loi du 22 janvier 2002
(n°2002-92), relative à la Corse (article 12) confie à la
Collectivité territoriale de Corse la responsabilité de
l'élaboration du Plan d'aménagement et de développement durable de
la Corse.
« Le plan fixe les objectifs du
développement économique, social, culturel et touristique de l'île
ainsi que ceux de la préservation de son environnement ».
À ce titre :
- Il précise les grandes
orientations de la Collectivité
Territoriale de Corse.
- Il vaut schéma régional des
transports, et schéma de mise en valeur de la mer.
- Il définit les principes de
localisation des grands équipements et infrastructures.
- Ce plan a rang
de Directive territoriale d'aménagement.
- Il est
opposable aux tiers et les documents d'urbanisme devront être mis en
compatibilité avec lui.
•
La définition du Développement durable retenue par la France est
celle proposée en 1987 par la Commission mondiale sur
l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland : «
un développement qui répond aux besoins des générations du présent
sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre aux
leurs ». Il suppose la réalisation des équilibres environnementaux,
sociaux et économiques sans suprématie d’une composante sur l’autre.
Du point de vue humain, ce développement doit demeurer équitable
(intra et intergénérationnel), vivable et viable.
Trois axes porteurs viennent donc
étayer cette définition : la dimension économique, la
dimension sociale avec plus particulièrement la prise
en compte des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité, et la dimension écologique
avec l’idée précise des limitations que l’état de nos techniques et
de notre organisation sociale impose sur la capacité de
l’environnement à répondre aux besoins actuels et futurs.
• Le projet de Padduc a été mis en
chantier en 2003 par le Conseil exécutif.
• Le projet de Padduc a été arrêté
par le conseil exécutif le 24 juillet 2008.
• L’importance et la transversalité
du sujet traité a imposé la mobilisation de l’ensemble des six
commissions du CESC, dont la synthèse des travaux et des
contributions multiples amène aux conclusions suivantes.
Considérant les points suivants
La
dimension économique
Des
carences par rapport aux exigences légales
Dans
le Padduc, on peut lire que:
-
« La
Corse doit s’inscrire dans les courants de marchés internationaux et
donc affronter la concurrence là où elle peut mettre en avant les
ressources propres et les atouts qui la différencient des autres »
(p.11)
-
« La
Corse entend inscrire sa dynamique de développement dans le cadre
des orientations stratégiques communautaires et nationales
(Stratégie dite de Lisbonne et de Göteborg) » (p.31)
-
« L’ère d’une certaine autarcie doit céder la place à une attitude
d’ouverture vers les marchés et circuits économiques internationaux
pour faire écho à la mise en place de la zone de libre échange
euro-méditerranéenne à l’horizon 2010 » (p.32)
Le
projet de Padduc ne fixe pas véritablement d’objectifs dans les
secteurs économiques évoqués. Un objectif suppose que l’on fixe un
but à atteindre. Or, sur ce point, le document se contente
d’indiquer, de manière très lapidaire (alors que certaines
descriptions sont parfaitement inutiles, notamment au chapitre du
SMVM), que la solution se trouve dans le libéralisme économique avec
l’ouverture de la Corse sur le monde extérieur. D’autre part, ces
objectifs aux contours flous pâtissent d’un défaut d’inversion
chronologique. En effet, ce document, aux sources incertaines et
parfois datées, survient dans le débat sur le développement futur de
la Corse alors que les programmations financières susceptibles de
mettre en œuvre ces orientations sont d’ores et déjà et depuis
plusieurs mois adoptées : Contrat de projets Etat / Région, Fonds
européens, aides aux entreprises, au tourisme, plans de formation,
etc. Or, si la loi indique que la Collectivité Territoriale a
compétence pour l’élaboration du Padduc, elle précise aussi
logiquement que cette élaboration doit s’effectuer avant l’arrêt,
entre autres, des documents de programmation financière
contractualisés avec l’Etat ( article L4424-14).
Le taux de croissance affiché de 5% par an, sans rapport avec les
réalités de l’économie mondiale
Le
Padduc repose principalement sur une hypothèse chiffrée (p.51) : un
taux de croissance de 5% par an.
C’est
un objectif sans rigueur et déconnecté des réalités française,
européenne et internationale.
Avec
la proclamation de cet objectif, c’est toute la crédibilité du
Padduc qui est remise en cause.
Quelques chiffres :
En
2006, la France enregistrait une hausse du PIB de 2,2%.
En
2007, alors que le gouvernement visait entre 2 et 2,5%, la hausse
s’est limitée 1,9%.
Pour
2008, la Ministre de l’Economie, Christine Lagarde, a tout d’abord
pronostiqué (fin 2007) un vague « autour de 2%. ». Avec plus de
précisions, elle a ensuite avancé le chiffre 1,7%, pour enfin se
résoudre à avouer un petit…1%. Ces données issues du Ministère de
l’Economie ont en outre été rendues publiques avant le
« déclenchement » de la crise économique et financière actuelle et
doivent donc très probablement être réévaluées à la baisse. Ces
déclarations fragiles sont par ailleurs à reconsidérer intégralement
dans la mesure où certains responsables
politiques initialement partisans de politiques libérales ont
récemment et publiquement affiché leur volonté de prendre des
mesures telles que la nationalisation des banques et la « régulation
du marché ».
En
Allemagne, le taux de croissance a été de 2,9% en 2006 et de 2,5% en
2007. Pour 2008, la prévision est de 1,5% et de 1% en 2009.
En
Italie, le taux de croissance en 2006 a à peine dépassé 1% ; en 2007
il approchait 1,5%. En 2008 et 2009, il végétera à 0,3%.
L’Espagne, pourtant portée par l’immobilier, a atteint 3,7% en
2006, pour voir ce taux s’effondrer par la suite.
Aux
Etats-unis, le taux de croissance était de 4% en 2006 et 3,9% en
2007. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit qu’il tombera à
2,6% en 2008 et à 2,5% en 2009.
Plus
globalement, le FMI prévoit dans son Rapport semestriel sur les
perspectives de la croissance mondiale en 2008 et 2009 que la
croissance des économies avancées reculerait de 2,9% en 2006 à 1,4%
en 2009. La croissance des économies émergentes passerait quant à
elles de 7% en 2006 à 5,21% en 2009.
Comment, dans de telles conditions, et sans compter les dégâts
structurels et profonds déjà causés par la crise financière mondiale
actuelle, la Corse arracherait-elle un 5% de taux de croissance par
an dans la période 2007/2013 ?
Un développement basé sur le développement de l’économie
résidentielle et sur une mono-activité touristique, activité
saisonnière par excellence.
Le
projet de Padduc précise : "La Corse doit mieux exploiter le
potentiel qui est le sien" (p.44). Le mot tourisme, s'il est
absent du sommaire de ce projet, connaît 55 occurrences, disséminées
dans tout le projet.
Le
Padduc (p. 32) affirme vouloir développer l’économie résidentielle.
Dans
de nombreuses communes littorales, le taux de résidences secondaires
existantes par rapport aux résidences des habitants permanents
dépasse déjà 40%. Cela pose en outre la question d’une distinction
claire entre résidences principales et résidences secondaires. Le
développement planifié du nombre de ces dernières pose la question
du développement démographique de la Corse ; or, le Padduc précise
que « le dynamisme démographique de la Corse est dû presque
entièrement au solde migratoire, le solde naturel y contribue
beaucoup moins » (p. 18). Pourquoi ne trouve-t-on dans le document
aucune allusion aux conséquences d’un tel essor démographique sur
une société corse déjà fragilisée ? Toute île étant un espace
confiné, on y constate souvent une condensation des effets néfastes
et les pressions exercées sur l’espace insulaire en sont d’autant
plus fortes.
Cette économie résidentielle qui tourne le dos à l’activité
productive est contraire à la notion de Développement durable.
Dévoreuse d’espaces, elle détruit les paysages, les sites
remarquables, les terres agricoles. Elle augmente la pression
foncière et la spéculation sur ces terres, menaçant également la
finalité agricole de nombreux espaces.
L'Agence
française
de l'ingénierie
touristique
considère le tourisme durable
comme
« toute forme de développement, d'aménagement ou activité
touristique qui respecte et préserve à long terme les ressources
naturelles, culturelles et sociales, et contribue de manière
positive et équitable au développement économique et à
l'épanouissement des individus qui vivent, travaillent ou séjournent
dans ces espaces ».
Un
développement basé sur une mono-activité économique entraîne la
vulnérabilité de l'ensemble de l'économie aux chocs extérieurs du
fait de sa dépendance à un seul secteur.
Un tel
schéma de développement laisse apparaître un profond déséquilibre
intersectoriel entre un secteur en expansion (ici, le tourisme) et
les difficultés des secteurs traditionnels (agriculture, industrie),
ce qui entraîne une migration forcée des emplois depuis les secteurs
en crise vers le secteur en expansion. Ainsi, aucun engagement
précis n’est pris en matière économique et sociale pour tenter
d’équilibrer le développement vers d’autres secteurs comme par
exemple les activités industrielles de pointe liées à l’énergie, au
transport, à la communication ou dans le secteur agricole qui ne
peut pas être uniquement destiné à des produits haut de gamme.
Dans
une période de crise économique et financière mondiale, de
changement climatique, de concurrence internationale avec les pays
émergents dans le domaine de l’offre touristique, le développement
du seul secteur touristique place la Corse dans une forte position
de vulnérabilité.
L’équilibre social doit reposer sur le développement des activités
primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire.
Un développement basé sur un tourisme littoral
Le
Padduc ignore le tourisme social. Il envisage toutes les formes de
tourisme pour "renforcer la politique touristique" : haut de gamme
culturel, sportif, d'affaires, vert… à l’exception du tourisme
social, grand absent du projet.
Le
Padduc ignore l’intérieur de l’île : les 18 000 lits nouveaux
programmés dans ce projet de Padduc ne seront certes pas situés
"dans l’intérieur de l’île, avec une mention particulière pour les
structures de charme réhabilitant le patrimoine bâti" comme évoqué
p. 46.
Le
Padduc n’étudie pas la globalité de l'activité touristique. Où
seront localisées les infrastructures ? Que vont consommer les
touristes sur place ? Comment les touristes seront-ils transportés ?
Combien coûte au total le tourisme à la collectivité ? En Corse, le
tourisme représente entre 12 et 15 % de la valeur ajoutée produite.
Cette activité est incontestablement un des moteurs de l’économie
mais
si
l’on souhaite développer un « tourisme durable » respectueux des
équilibres sociaux, économiques et environnementaux, il faut
préciser certains points importants, ce que le PADDUC ne fait pas :
-
Coût
en infrastructures publiques obligatoirement surdimensionnées en
raison de l'afflux touristique mais dont les carences sont déjà
fortement ressenties,
-
Coût
pour les espaces naturels définitivement occupés,
-
Coût
pour l'environnement et le traitement du surplus de déchets,
-
Coût
de l’accroissement incontrôlé des prix du foncier et de la
spéculation (phénomène déjà en cours d’expansion et qui ne ferait
que s’aggraver avec ce Padduc), modalités environnementales et
fiscales des résidences secondaires,
-
Coût
des biens de consommation non produits en Corse,
-
Coût
social exorbitant : précarité, chômage, bas salaires, etc.
Un
coût total d’une telle ampleur est inacceptable pour la population
et ce type de tourisme, tel que le défend ce projet de Padduc, n'est
ni vivable, ni viable, ni équitable pour les intérêts de la majorité
des Corses. Il constitue en réalité un dangereux projet de société
qui a fait la preuve de sa nuisibilité partout ailleurs dans le
monde. Par exemple, l’augmentation des prix causée par l’afflux
touristique frappera de plein fouet les consommateurs corses qui, eu
égard à leur pouvoir d’achat, seront considérés comme des touristes
sur leur propre île. Or, le problème essentiel du coût de la vie est
ignoré dans le Padduc : par exemple, la mise en place d’un contrôle
public des prix, sur la base d’une expérimentation législative
autorisée par la loi du 22 janvier 2002, n’est absolument pas
évoquée.
La
négation d’un tourisme de qualité
La
richesse, l’abondance et la diversité du patrimoine culturel et
environnemental de la Corse constituent l’attrait fondamental de la
« destination corse » et l’atout majeur du développement touristique
de notre île. Il est indispensable de le conserver, de le préserver
et de le dynamiser, tout en permettant un développement économique
raisonné et maîtrisé.
Dans
ce contexte, les raisons et l’utilité des déplacements des limites
des zones remarquables du littoral et de celles des espaces proches
du rivage pourraient, à plus ou moins court terme, avoir des
répercussions négatives sur les activités liées à un tourisme de
qualité. Le « produit insulaire », pour être un véritable vecteur de
croissance équilibrée, doit prendre en compte dans sa conception les
spécificités de la Corse comme territoire identitaire, et non
uniquement les éléments stéréotypés de l’île comme lieu purement
héliotropique. Il est donc logique de chercher à promouvoir une
activité touristique dans les économies insulaires mais la question
qui se pose est de savoir sous quelles conditions le tourisme est
durable c'est-à-dire viable, vivable et équitable.
La
stratégie de développement par le tourisme exige donc que l’on
analyse ses impacts environnementaux, économiques et sociaux. Or,
rien n’est indiqué dans ce Padduc sur ces trois types d’impacts qui
sont intrinsèquement liés.
Absence de gestion de la mer
Le
Padduc tourne le dos à l’activité artisanale de pêche et va jusqu'à
affirmer que le poisson n’est pas de qualité (p.157), ce qui
constitue une affirmation insupportable, au premier chef pour les
professionnels du secteur dont le travail est unanimement reconnu.
Le
Padduc remplace les ports de pêche par ceux de plaisance, aggravant
la situation actuelle (à Toga par exemple, les cinq emplacements
gratuits offerts à vie à la prud’homie des pêcheurs ont disparu).
La
spécificité de la pêche artisanale corse n’est pas reconnue alors
qu’un très récent rapport de l’Ifremer salue la bonne gestion du
chalutage en Corse ainsi que la qualité de ses produits.
Les
terres agricoles ouvertes à l’urbanisation
La
conclusion du document d’élaboration du Padduc, de l’Odarc, Groupe
agriculture, en novembre 2004, souligne : « La notion de
développement durable impose un maintien général de la terre
agricole. »
Le
Padduc indique p.80 que la « potentialité rurale (de la
Corse) demeure et doit demeurer ». Mais il affirme également (p.84)
que « la nécessaire préservation de ces espaces (à potentialités
agronomiques dominantes) ne fait pas obstacle à l’extension
prévisible et nécessaire des zones agglomérées et des zones
d’activités (…) afin de faire face à l’accroissement continu de la
population et de ses besoins ».
La
vocation dominante des espaces à potentialités agronomiques majeures
ne fait pas non plus obstacle selon le Padduc :
- à
l’implantation des réseaux de transport et d’énergie,
- aux
activités de loisirs,
- au
changement de destination des constructions existantes s’il est lié
à la vocation des espaces correspondants.
En
contradiction avec lui-même, le Padduc affirme donc possible
l’urbanisation des meilleures terres, celles au meilleur rendement.
Muet sur la stratégie
Le
document est muet sur la stratégie qu’il convient d’adopter au
regard des outils nécessaires à l’accompagnement des initiatives
économiques.
Le
renvoi au dispositif existant en matière d’aides économiques,
dérisoire dans le contexte actuel, n’est pas à la hauteur de
l’ambition affichée qui consiste à concurrencer les marchés (bien
établis) nationaux et internationaux.
Il est
paradoxal que le document se prononce pour une stratégie de rupture
devant orienter la Corse de la consommation vers la production
(p.12). Par la suite, le Padduc indique que «l’ère d’une certaine
autarcie doit céder la place à une attitude d’ouverture vers les
marchés et circuits économiques internationaux » (p. 32). Mais de
quelle autarcie s’agit-il ? La question (autant que la philosophie)
du système dit de « continuité territoriale » n’est pas du tout
abordée et reste donc confortée en l’état alors qu’il faut se poser
clairement cette question : comment exporter davantage avec le
subventionnement massif des produits extérieurs ? Le fonctionnement
de la continuité territoriale doit être remis à plat afin de
permettre la mise à niveau de la Corse par rapport aux autres
régions françaises.
De
même, pas un mot n’est dit sur les instruments fiscaux qui
accompagnent toute politique de développement. Le statut fiscal de
la Corse doit-il être maintenu en l’état ou redimensionné en étant
pensé de l’intérieur pour favoriser la production et non accompagner
la seule consommation ?
Développement et croissance
Le
Padduc ignore la définition des mots, confondant des notions
cruciales comme « patrimoine » et « capital ». C’est ainsi que le
concept problématique de « capital naturel » apparaît avec
récurrence dans le document (pp.11, 13, 157). L’environnement
apparaît comme une donnée économique qu’il convient de faire
fructifier, sans pour autant en garantir la pérennité. Il convient
également que le Padduc définisse clairement ce qu’il entend par
« capital identitaire » (p. 35) : cette formule survient dans un
passage où la mondialisation est mise sur le même plan que la
valorisation de l’identité, deux notions « apparemment paradoxales
mais en fait complémentaires » (p. 34). Cette complémentarité n’est
guère explicitée. Il en va de même avec les idées de développement
et de croissance, qui ne renvoient pas aux mêmes objectifs. Celui
qui est affiché p. 51 («un taux de croissance de 5% par an »)
subordonne ainsi le concept de développement durable à celui de
croissance à tout prix.
La dimension sociale
et culturelle
En
considération de la définition du développement durable, le volet
social et culturel de ce projet est en réalité totalement
inexistant.
La
nécessaire adhésion citoyenne à ce document
À la
page 11 du projet de Padduc on peut lire que « le Plan d’aménagement
et de développement durable a (…) pour objet d’être un guide de
l’action ; à travers la stratégie qu’il définit et les orientations
qu’il préconise. (…) C’est dire la nécessité d’une large adhésion à
ce document stratégique ».
Si les
représentants démocratiquement élus de Corse ont la compétence
juridique de voter ce projet de Directive territoriale
d’aménagement, ils ont le devoir, comme le souligne le préambule du
Padduc, d’être à l’écoute de la société civile et de requérir
l’approbation sociale.
À
aucun moment les syndicats de salariés n'ont été consultés. Les
institutions importantes telles que l'Université de Corse ou le CESC
n’ont pas, non plus, été auditées. De surcroît, les demandes de
participation à l’élaboration du Padduc émanant du CESC ont été
ignorées.
Les
manifestations de l’expression citoyenne relevées ces derniers mois
montrent que ce scénario d’avenir pour la Corse porte en lui les
germes de la discorde sociale. Si le Padduc doit être un véritable
choix de société, il lui est indispensable de susciter un
authentique consensus, durable et non circonstanciel.
L’impact social du tourisme
L’objectif est fixé quantitativement p.45 : il s’agit de parvenir
d’ici 15 ans à " la création de l’ordre de 18 000 lits nouveaux,
majoritairement hôteliers ", en d’autres termes, doubler la capacité
hôtelière de la Corse. Un tel développement doit attirer
nécessairement l’attention des grands groupes hôteliers dont les
moyens très importants peuvent écarter du marché les entreprises et
industriels locaux.
Au
plan social et qualitatif, le tourisme tel que le conçoit ce Padduc
implique également des conséquences importantes : par exemple, 54%
de salariés au Smic, des conditions de travail souvent déplorables
avec comme seul exemple des durées hebdomadaires de travail de 115
heures pendant la saison 2008, des conditions de logement d'un autre
monde ; c’est aussi au moins 10 000 salariés saisonniers, dont une
majorité venus du continent ou de plus loin, car plus facilement
exploitables, moins informés de leurs droits, et qui se retrouvent
parfois sans domicile ni ressources, payés en réalité un peu plus de
2 euros de l'heure, soit l’équivalent du SMIC des années 80, et qui,
s'ils osent faire valoir leurs droits, se heurtent à un véritable
parcours du combattant juridique et social car rien n'est adapté à
leur situation.
Tous
ces saisonniers sont des précaires, souvent des travailleurs
pauvres, certains restant figés dans ce statut jusqu'à un âge
avancé, ce qui leur laisse comme seule perspective d'avenir une
retraite minime et une existence sociale problématique.
La
plupart de ces saisonniers regagnent leur région ou pays d’origine
en fin de saison, emportant et véhiculant une image de la Corse en
rapport avec leurs vicissitudes : il est permis d’attendre mieux
comme vitrine de la promotion touristique et de la valorisation de
notre île. D'autres, de plus en plus nombreux, restent en Corse car,
la précarité se valant partout, autant la subir dans une région au
climat relativement amène. Rien n'est prévu au niveau des
collectivités locales pour prendre en compte les besoins de cette
nouvelle population de précaires.
Le
tourisme est également un secteur frappé par une fraude sociale
importante (pour l’Agence centrale des organismes de sécurité
sociale, le taux de fraude en 2006 atteignait 26,5% (moyenne
nationale) voire 61% pour certaines régions) et ce, malgré
l’incitation à la régularisation du travail dissimulé, argument
phare des « aides Sarkozy », versées aux employeurs depuis juillet
2004 à hauteur d’1,5 milliards d’euros par an et fortement
revalorisées en 2008 (dans certains cas, 180 euros par mois et par
salarié) sans aucune contrepartie sociale imposée en terme d’emplois
durables (durée indéterminée et à plein temps) ou de compensation
d’un coût de la vie très élevé en Corse (indemnité de transport ou
prime de vie chère versés aux salariés par leurs employeurs par
exemple).
Dans un contexte de précarité : la croissance garante de la
cohésion sociale
Le
chapitre premier du Padduc intitule son point 2.2 "Une croissance
garante de la cohésion sociale".
Ce
titre est à lui seul une contre-vérité. La croissance ne garantit
plus la cohésion sociale : bien au contraire, avec l'accroissement
des richesses se produit un accroissement des inégalités et de la
pauvreté, notamment avec l’augmentation du nombre de travailleurs
pauvres. D’autre part, les objectifs de croissance affichés par le
Padduc, irréalisables dans le cadre du seul marché corse,
nécessitent fondamentalement un important afflux de capitaux et
fonds extérieurs. Or, « l’apport des fonds publics extérieurs ne
représentera plus demain ce qu’il fut hier et ce qu’il est encore
aujourd'hui » (p. 32). Les fonds en question relèveront donc
essentiellement du domaine privé, ce qui pose inéluctablement la
question du contrôle de leur provenance et de leur répartition. Ces
risques d’iniquité dans
l’accès aux richesses peuvent se répercuter également dans l’accès à
certains biens premiers : eau, terre, logement, etc.
Confondre croissance économique et véritable développement
économique, social et culturel constitue une erreur manifeste au
moment où la Corse subit un fort accroissement de la précarité :
dans l’île, 25 000 personnes (soit 10% de la population) survivent
avec moins de 660 euros par mois, et sur 47 000 retraités, la moitié
perçoit moins de 900 euros par mois. 25% des retraites perçues en
Corse sont inférieures à 560 euros par mois ce qui place la Corse au
1er rang des régions françaises pour la précarité des
plus de 60 ans (source: Insee).
Des affichages regrettables en terme de logement social
La
nécessité de développer le logement social afin de rattraper le
retard de la Corse en la matière apparait évidente, permettant ainsi
aux Corses de se loger dignement. Ceci, tout en respectant les
orientations du développement durable qui incitent au regroupement
urbain et à l’habitat groupé pour éviter le mitage du paysage et
l’extension des réseaux, limitant ainsi les déplacements générateurs
de pollution.
L’objectif
de construction de 600 logements sociaux par an annoncé
publiquement par le préfet de Région (Mr Leyrit) dans de nombreux
articles de presse (Cf. réunion du Comité régional de l’Habitat du
25 juin 2008 en préfecture d’Ajaccio) est nettement supérieur aux
données affichées dans ce projet de Padduc.
Une société dans laquelle la richesse intellectuelle s’amenuise
Le développement de la seule activité touristique est constitutif
d’une société dans laquelle la richesse intellectuelle diminue
(moins de chercheurs, de scientifiques, d’ingénieurs…) tandis que
les savoir-faire disparaissent. Cet état de fait s’applique
d’ailleurs, plus généralement aux modèles économiques dans lesquels
le rapport production /consommation est déséquilibré. C’est vers
quoi nous conduit ce projet de Padduc.
La faible importance accordée au domaine Recherche et Développement
dans le Padduc s’explique car le tourisme expansif est un secteur
qui en requiert très peu. Corrélativement, on constate dans ce
contexte un besoin très limité en travailleurs qualifiés. La
formation aux métiers du tourisme elle-même est abandonnée par le
Padduc au secteur privé, sans garantie de qualifications ni de
reconnaissance professionnelle. L’orientation proposée mène ainsi
dans une direction opposée aux principes d’une Société de la
Connaissance préconisée au niveau européen et international. Si la
mondialisation est présentée dans le Padduc comme « inévitable et
souhaitable » (p.58), pourquoi le Padduc n’en retient-il que les
aspects économiques et compétitifs, au détriment des orientations
scientifiques et éducatives instituées notamment par les directives
européennes ?
L’éducation et la formation : imprécisions et oublis coupables
Dans les domaines de l’éducation et
de la formation, le projet de Padduc esquisse une stratégie en
s’appuyant sur des données chiffrées totalement obsolètes à savoir
les documents de travail de l’Oref de 2002 et 2003. Ces données sont
aujourd’hui profondément bouleversées : il en est des variations
d’effectifs élèves comme du nombre d’enseignants avec les centaines
de suppression de postes.
Le Projet de Padduc fait également
des confusions. Ainsi, parmi les solutions proposées trois relèvent
des fonctions régaliennes de l’État et non de l’action directe de la
CTC. Il s’agit de l’orientation et l’information, de l’acquisition
des savoirs fondamentaux, de la formation pour l’intégration
éducative.
La quatrième action qui traite plus
spécifiquement de la formation en alternance n’offre, pour seule
solution, que la réalisation d’une infrastructure : « un grand
équipement consacré à la formation aux métiers du tourisme ».
Par ailleurs et alors que le
diagnostic fait état d’une « situation peu satisfaisante en partie
imputable à une efficacité non optimale du système éducatif »,
aucune proposition n’est fait pour le rendre optimal.
Le Padduc se révèle dans
l’incapacité de faire respecter le volet éducation de la loi du 22
janvier 2002 : «…Chaque année, la Collectivité territoriale de Corse
arrête la structure pédagogique générale des établissements
d’enseignement du second degré en tenant compte du schéma
prévisionnel des formations… L’État fait connaître à l’Assemblée de
Corse les moyens qu’il se propose d’attribuer à l’académie de
Corse… » (article L-4424-1).
Si la Collectivité territoriale a
compétence pour établir la carte scolaire, cette compétence est
limitée par les moyens octroyés. Ainsi, en Corse les fins d’années
scolaires comme les rentrées, se font sous tension : fermetures de
classes annoncées, déplacements de postes, ouvertures sous
condition, etc. Alors que la CTC a pris la décision politique de
revitaliser l’intérieur en y favorisant l’éducation et la formation
par le maintien des établissements scolaires (lieux de vie et
support de tout développement) les services de l’État y opposent une
insuffisance d’effectifs, au nom de Dotation horaire globale (DHG)
appliquée sur le plan national.
Le projet de Padduc, n’esquisse
aucune solution pour ne plus faire supporter aux jeunes scolarisés
de Corse, la faible démographie ou la petite taille de cette
dernière ; pas plus qu’il soulève des réflexions pour que les élèves
des écoles, collèges et lycées de notre région puissent avoir les
mêmes droits que sur le territoire national et bénéficier des
horaires officiels d’enseignement d’un niveau, quels que soient les
effectifs de ce dernier.
Le cadre normatif spécifique pour
l’enseignement du second degré en Corse est oublié du Padduc.
Celui-ci a été définit par un rapport du président du Conseil
exécutif en novembre 2007, qui souligne que « la mise en œuvre du
schéma prévisionnel des formations fait apparaître l’inadaptation de
l’annualité de la concertation sur les moyens d’enseignement » ; et
que « la prise en compte des contraintes structurelles de l’académie
(notamment la volonté de maintenir une offre territoriale de
proximité)… justifierait un engagement de l’État formalisé sur le
moyen terme ».
Le projet de Padduc est muet quant à
cette mesure de cadre normatif, pourtant recommandée depuis deux ans
par le CESC ; examinée et validée lors des deux dernières réunions
du Comité d’orientation de suivi et d’évaluation (Cose) mis en place
par la CTC, puis votée en novembre 2007.
Le
projet de Padduc discrimine la culture identitaire et la culture
universelle.
L’identité et la culture corses sont considérées comme des
plus-value de l’économie locale ; la « culture universelle » est
pour sa part envisagée dans le cadre d’ « échanges avec
l’extérieur » (p.62). Or, il n’est pas tenable de séparer, comme le
fait le Padduc, l’identitaire de l’universel. Il est acquis,
notamment depuis les travaux de Claude Lévi-Strauss, que toutes les
cultures, petites ou grandes, contribuent à inventer de l’humain et
de l’humanité, et qu’à ce titre elles participent toutes de la
culture universelle. Il n’est donc pas possible de considérer
l’économie comme un facteur neutre d’identité, car l’orientation
voulue par ce Padduc présente l’identité comme un bien de
consommation.
La
culture installée au rang de plus-value économique
La
notion de culture semble traverser en permanence ce projet de
Padduc. Pourtant, elle ne fait pas partie des dix « domaines
prioritaires » du Padduc
(p.14).
Paradoxalement, l’attribution d’une place récurrente à la culture
patrimoniale installe la culture dans une vitrine intangible : elle
doit être le décor de la scène économique, sa plus-value
superficielle. De manière générale, l’aspect culturel dans le Padduc
est abordé dans une perspective de pure « valeur ajoutée » : la
culture ne mérite d’être valorisée que si elle permet de mieux
vendre. Ainsi, dans l’hypothèse de la réussite économique de ce
Plan, l’identité et la culture corses feraient office de support
publicitaire à la création de richesses.
Or, la
culture, inséparable du lien social, doit interagir sur un pied
d’égalité avec l’économique et demeurer de la sorte un facteur
d’identité, d’inventions et de résistance positive à l’assimilation.
L’essor culturel d’un pays qui maîtrise son développement repose,
pour une part importante, sur les arts vivants. Or, ce Padduc
hypothèque sérieusement ce type d’expression artistique en
subordonnant globalement la production culturelle à l’objectif
économique. La création de richesses, dont l’importance est
incontestable, est cependant moins importante que la captation
desdites richesses, afin qu'elles demeurent et fructifient là même
où elles apparaissent. Il est permis de se demander si
l’appauvrissement culturel de la Corse, causé par une
instrumentalisation marchande de l’identité et de la culture corses,
ne risque pas de provoquer également un appauvrissement économique
de l’île. Une conception superficielle et monnayable de la culture,
conçue comme simple prétexte économique, va à l’encontre des
objectifs du développement durable.
La gestion de la ressource en eau ignorée
Dans
le contexte préoccupant du réchauffement climatique, la gestion de
la ressource en eau touche aux questions d’équité et de cohésion
sociale. Elle constitue une richesse à économiser et gérer
durablement.
Le
Padduc n’évoque jamais la gestion de la ressource en eau.
Le
Padduc ne fait jamais référence au Sage (Schéma d’aménagement et de
gestion des eaux).
Le
Padduc préconise avec insistance le développement d’une Corse vue
comme « destination golfique » (p.46). Cette notion de destination
golfique induit une multiplication du nombre de golfs en Corse.
Alors que la Corse possède déjà cinq parcours golfiques, plusieurs
nouveaux projets sont inclus dans les PLU : Olmetu, Purti Vechju
(2), Solaru, Olmeta di Tuda, Bunifaziu-Balistra.
La
construction et l’entretien d’un parcours de golf nécessitent
d’énormes quantités d’eau et de fertilisants. L’Agref – Association
des green-keepers français – avait calculé en 2005 que les besoins
en arrosage d’un terrain classique étaient de 3 176 m3
d’eau par hectare et par an. Toutefois, un rapport bien plus sévère
du Sénat évaluait en 2003 cette consommation à 3 800 m3.
Dans les cas extrêmes (régions où la pluviométrie est faible, au
climat de type maghrébin), elle peut atteindre jusqu’à 6 500 m3
. En nous en tenant aux moyennes françaises, et sachant qu’un
terrain de golf fait 40 hectares environ, on obtient une
consommation moyenne qui satisferait les besoins en eau d’une petite
ville de 7 000 habitants.
Une autre source (Rapport du sénateur Miquel, 2003 - Agence de
l’eau Rhône-Méditerranée-Corse) affirme qu’un golf haut de gamme de
18 trous atteint une consommation de 5.000 m3/jour ;
cette consommation équivaut à la satisfaction des besoins d’une
collectivité de 12.000 habitants. D’une manière plus parlante, on
peut affirmer qu’un jour d’arrosage du golf de Sperone correspond à
la consommation d’eau de la population de Bunifaziu pendant cinq
jours.
D’une
manière générale, le tourisme est une industrie nécessitant
d’importantes ressources en eau. Un touriste consomme ainsi environ
300 litres d’eau par jour.
L’eau
peut également être source de conflits entre les acteurs des
pratiques touristiques et les divers acteurs de l’économie locale,
les agriculteurs pouvant par exemple se trouver en situation de
concurrence avec les hôtels pour l’accès à l’eau.
Urbanisation du littoral en période de montée du niveau des mers
Les
effets du réchauffement climatique constituent une problématique
ignorée par le Padduc.
Les
scientifiques prévoient une élévation importante du niveau de la mer
au cours du XXIe siècle. Si les modèles anticipent des
différences régionales et locales importantes dans les changements
relatifs au niveau des mers, tous s’accordent sur les conséquences
majeures. Les faits sont désormais indéniables.
Le
rapport d’évaluation du GIEC 2001 (Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat) note qu'on peut
s'attendre à ce que les changements climatiques actuels et futurs
aient un ensemble d’impacts profonds et complexes sur les systèmes
côtiers, incluant une érosion côtière accélérée, des invasions
marines dues aux tempêtes, des changements dans les caractéristiques
et dans la qualité de l'eau de surface et des eaux souterraines
(salinisation), le déclin qualitatif du sol et de l'eau.
Certains pays (Allemagne, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni)
ont mis en œuvre certaines mesures préparant leur pays à limiter ces
risques et/ou à s'y adapter.
C’est
dans ce contexte que le Padduc ouvre le foncier littoral corse à une
urbanisation accrue, quand il faudrait au contraire prévoir les
conséquences sociales, économiques et environnementales du
réchauffement sur les espaces littoraux.
Alors
que la Corse est une île, le Padduc ignore les informations d’ordre
scientifique nécessaires pour agir face aux risques induits par le
changement climatique et envisager d’éventuelles stratégies
d’adaptation.
Les problèmes sanitaires dus notamment à l’amiante ignorés.
Alors
que la géologie de la Corse pose de manière aiguë, en Haute-Corse
notamment, la question de la constructibilité des terrains
amiantifères et le traitement de leurs déblais, aucune mesure de
prévention ni aucune solution n’est envisagée dans le Padduc.
La langue corse, un atout social ignoré
Le
Padduc fixe les objectifs du développement économique, social,
culturel et touristique de l'île ainsi que ceux de la préservation
de son environnement. Dans ce cadre la langue corse est citée comme
un atout de cohésion sociale (p.56). C’est ce que confirment
d’ailleurs toutes les recherches en sociolinguistique.
On
s’étonne alors qu’aucune stratégie ni aucune action ne soit déclinée
alors que l’enjeu est reconnu comme socialement stratégique dans un
contexte de développement durable.
On
s’en étonne d’autant plus qu’un « Plan stratégique d’aménagement et
de développement linguistique pour la langue corse 2007-2013 » a été
voté à l’unanimité, le 22 juillet 2007, par l’Assemblée de Corse.
Aucune allusion dans le Padduc !
Ce
Plan est directement issu des travaux réalisés, sous l’autorité de
l’Assemblée de Corse, par le Cunsigliu di a lingua constitué d’un
Comité de pilotage et d’un Conseil scientifique. Ces travaux sont
matérialisés dans un rapport scientifique intitulé Lingua corsa :
un fiatu novu que le Plan stratégique traduit en axes de
développement et plans d’action déclinés en dix fiches-actions
clairement établies, parmi lesquelles la Charte de la langue corse.
Le Padduc ignore ces propositions concrètes et n’offre aucune
perspective substantielle au développement de la langue corse.
Du
reste, la langue corse n’est guère évoquée dans l’ensemble du
Padduc. Globalement, aucun cadre normatif spécifique n’est proposé
pour l’intégration de la langue au système éducatif corse, alors les
éléments d’un tel cadre ont été votés par la CTC. Parallèlement,
aucune réflexion n’est élaborée sur le statut de la langue corse
face aux conséquences de la politique démographique préconisée dans
le Padduc.
Les
éléments de diagnostic (40 lignes) tournent le dos au travail du
Cunsigliu di a lingua, diffusé le 20 décembre 2006, pour se référer
plutôt au rapport de l’Insee d’avril 2004. Le rapport diagnostic du
Cunsigliu a pourtant vocation à être la base de référence pour une
stratégie de développement et de diffusion de la langue.
Les
priorités d’actions sont encore moins développées (19 lignes, p.58)
et la dimension opérationnelle est occultée. Un flou coupable parle
diversement d’ « objectif à long terme » ; de « mieux définir la
place et les fonctions de la langue corse » ; de « se préoccuper de
perspectives visant à accroître la présence dynamique de la langue
dans l’espace public » ; de « soutien institutionnel » (sans autres
précisions).
Il
n’est jamais fait référence aux travaux, pourtant minutieux,
réalisés par le Cunsigliu di a lingua. Ces travaux sont matérialisés
sous la forme de deux documents :
• Le
premier, réalisé en 2006 par le Conseil scientifique, Lingua
corsa : un fiatu novu. Ce document de 66 pages dresse un état
des lieux précis et se conclut par des propositions d’objectifs
opérationnels.
• Le
second émane du Comité de pilotage (composé de membres de
l’Assemblée et du conseil économique social et culturel de Corse) en
juillet 2007 et traduit le premier document en axes de développement
et plans d’action. La stratégie se décline en dix fiches-actions
clairement établies.
Dans
le domaine du tourisme, la langue corse se résume à quelques
déclarations d’intention qui témoignent du faible intérêt que lui
accorde ce projet de Padduc. On notera toutefois que la langue corse
est envisagée dans les modules de formation professionnelle, comme
le CESC l’a préconisé à de nombreuses reprises.
En
revanche, rien n’est envisagé quant à la proposition récurrente de
la création d’un Office de la Langue corse indépendant. Constitué de
membres représentatifs à l’image du Comité de pilotage, il devrait
être en mesure de prendre toutes les dispositions nécessaires au
développement et à la diffusion de la langue.
Des
travaux, réalisés sous l’autorité de l’Assemblée de Corse dans le
cadre du Plan stratégique d’aménagement et de développement
linguistique de la langue corse 2007-2013, ont édité un état des
lieux et présenté des stratégies concrètes, parmi lesquelles la
Charte de la langue corse. Le Padduc ignore ces propositions
concrètes et n’offre aucune perspective substantielle au
développement de la langue corse.
Une offre touristique qui tourne le dos au patrimoine historique.
L’économie du tourisme suppose, pour exister, d’être adossée à une
offre d’accompagnement, en particulier un type d’offres liées à
l’environnement naturel et culturel. Celles-ci doivent s’appuyer sur
un « plateau » de qualité avec un solide support scientifique.
La nécessité de la mise en valeur du patrimoine culturel s’impose
donc comme une condition nécessaire à la pérennité de ce secteur
économique.
L’urbanisation du littoral sans aucun diagnostic archéologique
constitue alors un obstacle majeur à la promotion d’une économie
patrimoniale. Si l’on considère le résultat des fouilles
archéologiques effectuées depuis une trentaine d’années sur l’île,
on s’aperçoit que les principaux sites d’habitats se trouvent sur
une plage altimétrique comprise entre 0 et 300 mètres d’altitude
(cet état de fait s’explique par la facilité à se procurer de la
nourriture : produits de la pêche en mer, de la chasse et, en outre,
par la présence de zones humides permettant la récolte d’argile,
l’utilisation du jonc…).
Le déclassement, essentiellement d’espaces remarquables en zones
littorales, ouvre de grands secteurs à l’urbanisation et provoque la
destruction inéluctable de sites archéologiques.
Cela est valable aussi bien pour la période pré- et protohistorique
(IXe – Ier millénaire av. J.-C.) que pour la
période classique, avec la civilisation gréco-romaine dont
l’implantation s’est faite très majoritairement sur le littoral.
Ces
destructions sont d'ailleurs effectives ces trente dernières avec
l'absence de structures de tutelles, telles qu'elles existent dans
l'ensemble des autres îles méditerranéennes. Certains départements
français parmi les moins riches, comme l'Ardèche, ou encore des
Communautés de commune situées dans des régions de moindre
importance archéologique (Douai, dans le Nord par exemple),
disposent des services archéologiques élaborés et performants.
La
protection et la mise en valeur du Patrimoine monumental et
archéologique figurent dans les objectifs du Padduc sans que les
moyens n’en soient explicités. La Corse est la seule région de
France à être totalement dépourvue d'un service archéologique qui
puisse prendre en compte l'archéologie préventive et gérer un
patrimoine immense laissé à l'abandon.
Les
cartes à échelle microscopique contenues dans le Padduc sont
l'illustration de cette ignorance du patrimoine. Elles concernent
des choix arbitraires de monuments ou de sites, essentiellement
propriétés de la CTC. Or, il ne peut y avoir de sélection pour la
sauvegarde d'un patrimoine unique et irremplaçable. Chaque
destruction de site archéologique, chaque disparition induit la
perte définitive de pages d'histoire que personne ne pourra récrire.
La
dimension écologique
Les
cartes doivent impérativement reproduire les atlas actuels et
déterminer les espaces agricoles à l’aide des cartes au 1/25000e,
telles que réalisées par l’Odarc.
Document d’urbanisme opposable mais d’interprétation subjective
Document juridiquement opposable aux tiers, le Padduc s’impose aux
autres documents d'urbanisme qui doivent de se mettre en
compatibilité avec lui.
Or, ce
projet de Padduc, ne peut qu’introduire le flou juridique et une
interprétation subjective. En effet, les documents cartographiques
sont constitués de cartes à l’échelle du 1/150 000e.
Cette
échelle ouvre la voie à des interprétations subjectives quant à la
destination du foncier, ceci en totale contradiction avec l’objet
même du Padduc qui vise à la cohérence et qui « doit constituer une
référence et un guide pour tous les acteurs de la vie publique »
(p.6). Le texte, voulant justifier l’usage d’une échelle si peu
lisible, semble entraîner sa fragilité juridique : proclamant son
« attachement au principe de subsidiarité », le Padduc précise qu'il
« ne peut interférer avec ce qui relève de la compétence d'urbanisme
des collectivités locales » (p. 129), notamment les Plans locaux
d'urbanisme (PLU, ex-POS) communaux. Or, en Corse comme ailleurs,
les PLU doivent être compatibles avec le schéma régional, et non
l'inverse. Ce que rappelle, au demeurant, un autre passage du
Padduc.
Les « Hameaux nouveaux » non définis
Le
Padduc (p.138) prévoit l’urbanisation en référence à des notions non
définies. Il en est ainsi de la notion de « hameaux nouveaux »
autorisés en dérogation sans qu’on ne sache quels critères ils
recoupent. Ces critères auraient dû être très nettement définis,
comme indiqué dans le récent avis du Conseil des Sites.
La limite des espaces proches du rivages modifiée
On
constate, sur la cartographie, un rapprochement systématique de la
limite des Espaces proches du rivage (EPR).
Dans
les EPR, l’urbanisation étant limitée et soumise à des règles de
procédure strictes, la nouvelle limite, très rapprochée du rivage,
facilitera la constructibilité sur les terres que le Padduc situe en
dehors de ces espaces.
Parallèlement à ce rapprochement systématique de la limite des EPR,
l’Exécutif demande une modification législative qui consisterait à
écarter l’application de la loi Littoral au-delà des EPR, au profit
de la loi Montagne, dont les dispositions sont considérées comme
moins contraignantes.
Une
telle évolution conduirait à une application de la loi Littoral sur
une seule étroite bande en limite du Domaine public maritime (DPM).
Des Espaces remarquables littoraux supprimés
Une
cartographie (au 1/150 000e) de ces espaces est annexée
au Padduc. L’échelle de la carte, qui rend leurs contours imprécis,
sera source de conflits.
Comparée aux Atlas existant, cette cartographie montre que plus
d’une centaine d’Espaces Remarquables, dans leur totalité ou
partiellement, ont été supprimés dans la carte du Padduc (leur liste
a été établie par les associations).
Parmi
ces espaces supprimés, on trouve des espaces qui sont, de par la
loi, des Espaces remarquables (zone spéciale de conservation de
Natura 2000, par exemple). La notion de Développement durable n’est
pas, là non plus, compatible avec ces suppressions, équivalentes à
une ouverture massive vers l’urbanisation.
Espaces remarquables montagnards
Le
Padduc affirme que tous les espaces situés au-dessus de la courbe de
niveau 1000 mètres deviennent des Espaces remarquables montagnards.
Ce
critère de sélection géographique n’est pas défendable sur le plan
de l’écologie scientifique.
Une
cartographie au 1/150 000e de ces espaces est annexée.
Cette
cartographie est inacceptable : la limite des espaces retenus ne
suit pas la courbe de niveau 1000 m. Des espaces remarquables de par
la loi (sites classés, par exemple) n’y sont pas des espaces
protégés.
Privilégier la démarche scientifique pour la définition d’Espaces
remarquables et agricoles
Les
critères de la sélection des Espaces remarquables littoraux ne sont
pas fournis.
Les
Atlas des espaces remarquables littoraux, parus en 2004, sont les
seuls documents de référence aujourd’hui. Ils ont été réalisés
sur des bases scientifiques, par des scientifiques et en
concertation avec l’ensemble des élus locaux de l’île. Ils
qualifient avec précision (échelle : 1/25 000e) la
destination des terres de l’ensemble de la Corse.
Le
Padduc ignore les cartes des potentialités agrosylvopastorales de la
Corse. Parues en 1979, réalisées sur des bases scientifiques
d’analyse des sols et de mesure des pentes, elles sont, pour le
monde agricole, les documents de référence aujourd’hui.
La gestion des déchets par procédé thermique.
En
dépit de la position prise le 11 juillet dernier par la commission
élargie de la CTC, après audition du Syvadec, de réviser le Plan
«déchets» en écartant l'incinération et la thermolyse, position
confirmée par le Président de l'Assemblée devant les médias le même
jour, le Padduc prévoit toujours l'incinération.
En
effet, le projet de Padduc préconise la mise en œuvre du Plan
interdépartemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés (Piedma)
et du Plan régional d’élimination des déchets industriels spéciaux (Predis),
adoptés respectivement en 2002 et 2004 (p.27).
La
valorisation énergétique retenue dans le Piedma étant spécifiée
-procédé thermique-, ce Padduc préconisant pour sa part « la
valorisation énergétique des déchets qui n'auront pas pu faire
l'objet de valorisations matière » et la centralisation par «
traitement dans une installation à proximité de la voie ferrée », il
prévoit donc toujours de brûler la très grande majorité des déchets
dans un incinérateur central.
Ce
Padduc ne tient pas non plus compte des déclarations du Président de
la République à la conclusion du Grenelle de l’environnement, le 25
octobre 2007 : « la priorité ne sera plus à l’incinération mais au
recyclage des déchets. Il faudra prouver, pour tout nouveau projet
d’incinérateur, qu’il s’agit bien de l’ultime recours. »
Si le
projet de Padduc passe en l'état, l'incinérateur devient
juridiquement incontournable.
La pollution en mer ignorée
La
pollution en mer constitue un enjeu environnemental stratégique pour
les années à venir. Aucune ligne n’en fait mention dans ce Padduc.
Le
premier projet de Padduc écrit en mai 2006 stipulait ce qui suit:
« 85% des masses d’eau marine sont en bon état écologique et peuvent
aisément le rester à l’horizon 2015, pour autant que les
urbanisations, au demeurant faibles, que le Padduc rendrait
possibles, soient très précautionneuses quant aux rejets qu’elles
génèreraient ». Dans le projet de Padduc soumis à l’avis des
conseillers, cette phrase a disparu.
Vice de forme
Le
projet de Padduc soumis à l’avis des conseillers a été fourni
incomplet. Ainsi les 180 premières pages de l’Etude d’impact
environnemental sont-elles absentes du dossier.
Avis
Considérant
l’ensemble de ces points, après avoir pris connaissance des
arguments du Président du Conseil Exécutif de Corse ainsi que du
Président de l’Assemblée de Corse et après en avoir délibéré au sein
de l’ensemble de ses Commissions, le Conseil Economique Social et
Culturel de Corse réunit en assemblée générale ce jour
• Émet
un avis défavorable au projet de Plan d’aménagement et de
développement durable de la Corse proposé par le Conseil Exécutif.
N.B. :
Le Conseil Economique Social et Culturel de Corse souhaite, dans le
cadre de l’élaboration d’un nouveau Padduc, être totalement associé
à l’exercice de prospective, afin que celui-ci soit l’occasion d’un
débat citoyen créatif, constitutif des éléments de cohésion sociale,
de performance et de paix.
Sur 51 conseillers du CESC, 48 ont voté
38 ont voté contre le PADDUC
5 pour
5 abstention
Dossier
"Spéculation" sur
Unità Naziunale :
Lire le dossier ici
Source photo :
Unità Naziunale, Archives du site.
Source info :
Unità Naziunale
© UNITA NAZIUNALE
Vos
réactions sur cet article ici :http://forucorsu.unita-naziunale.org/portal.php |