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Lutte internationale - EUSKADI - Non da Jon Anza? Où est Jon Anza?

Le 13 aout 2009: (13:00 Unità Naziunale, www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte internationale)  Samedi 18 avril 2009, 7 h du matin. Le train pour Toulouse entre en gare de Bayonne. Sur le quai, un couple attend. Le train s’arrête. L’homme prend congé de sa compagne; elle lui prodigue sans doute les recommandations d’usage, qui le font peut-être sourire un peu. Il lui a dit qu’il allait voir des amis… Un baiser rapide et il monte péniblement dans son wagon. Sa corpulence lui pèse: à cause de la cortisone qu’on lui administre, il a grossi de façon spectaculaire et le moindre effort le fatigue.

De plus, sa maladie affecte son nerf optique et le rend presque aveugle. Il serait mieux à la maison, c’est sûr, d’autant que le voyage dure près de quatre heures, car le train s’arrête dans toutes les gares qui jalonnent la ligne… Mais il part quand même, parce qu’on l’attend à Toulouse et qu’il a dit qu’il irait. Hitza hitz.

Les portières claquent, le train s’ébranle. A travers la fenêtre, il esquisse un salut vers la femme immobile sur le quai, qui lui sourit comme on sourit à ceux qui partent et qui reviendront le soir ou le lendemain.

Mais il ne reviendra pas.

On ne le reverra ni à Matabiau ni ailleurs.

Dans le train qui reliait Bayonne à Toulouse, Jon Anza s’est évaporé comme une bulle de savon.

 

Six jours plus tard, il n’a toujours  pas donné signe de vie. Pour ses proches, c’est d’autant plus inquiétant que le vendredi 24 il avait un rendez-vous important dans un hôpital de Bordeaux avec un grand patron spécialiste du cancer, et qu’il était bien décidé à s’y rendre.

Le temps passe, et toujours rien.

Jon a bel et bien disparu.

La police, prévenue, est la seule à ne pas s’inquiéter. Après tout, il s’agit d’un homme majeur! On évoque une fugue. Mais vu son état de santé, l’hypothèse ne tient pas. Un accident? Peu vraisemblable. En imaginant qu’il ait voulu descendre du train en marche, chose risquée même pour une personne en pleine possession de ses moyens physiques, on aurait retrouvé son corps au bord de la voie ou dans une des gares. Or aucune déclaration d’accident n’a été faite ce jour-là. Un suicide? Même si l’issue incertaine de son combat contre le cancer pouvait le déprimer au point de lui faire envisager cette solution, il est vraisemblable qu’il aurait choisi d’en finir chez lui, après avoir écrit un adieu à ceux qu’il aime, et non dans un train, comme ça, sur un coup de déprime. « On » a même suggéré qu’il pourrait s’agir d’un règlement de compte. Car ce disparu, ce n’est pas  un enfant de chœur: l’homme  a passé plus de vingt ans dans les prisons d’Espagne pour appartenance à l’ETA!

 

C’est vrai, Jon Anza Ortúñez n’est pas un individu lambda.

Il est né à Donostia (San Sebastián) en 1962. On peut l’imaginer qui grandit sur les bords de l’Urumea avec des copains de son âge. Adolescent, il s’indigne comme tant d’autres de la répression et de la guerre sale contre les patriotes basques et comme tant d’autres, il rejoint les rangs de l’ETA et intègre le commando « Lau Haizeta ». Comme tant d’autres, il est arrêté et condamné. Il a tout juste 20 ans… Quand il sort de prison, en novembre 2002, il en a 40.

Il regagne Donostia. Mais il est en butte aux tracasseries policières et l’objet d’une surveillance incessante et menaçante. Il décide donc de passer la frontière et s’installe à Ahetze, un petit village d’Iparralde (Pays Basque Nord) où il mène une vie en apparence paisible. En apparence, car ni la prison ni l’âge ne lui ont fait renoncer à ses idées. Il  milite au sein d’Askatasuna pour la libération et le rapprochement des prisonniers politiques basques dispersés sur tout le territoire français et espagnol. Tout en gardant des contacts avec l’organisation, mais ça, personne ne le sait autour de lui. Il y a des choses qu’on ne partage pas avec ceux qu’on aime, justement parce qu’on les aime. Après tant d’années passées  derrière des barreaux, il aurait pu savourer un tant soit peu le simple bonheur de vivre au pays, de faire le poteo avec des amis ou tout simplement de regarder le soleil dorer les pentes de l’Ursuya. Mais la vie en a décidé autrement et lui impose le plus intime et le plus rude des combats, celui contre la maladie. C’est curieux comme le destin s’acharne sur certains et favorise certains médiocres qui font la une de la presse « people »!

 

L’enquête

Le temps continue à passer et Jon reste introuvable.

Le 15 mai, la famille, après avoir épuisé tous les moyens possibles à son niveau, dépose une requête auprès du procureur de la République à Bayonne. Le 18, une plainte est déposée. Le procureur, Anne Kayanakis, transfère le dossier à la police judiciaire. Désormais une enquête officielle va pouvoir démarrer.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne démarre pas fort ! Les premières recherches ne donnent rien. Les vidéos des caméras de surveillance du train et des gares ne sont pas utilisables car au bout d’un mois elles sont systématiquement effacées: il faut protéger la vie privée des citoyens! Ah, la vertu! Et puis, ces bandes, on les réutilise: après tout, c’est la crise, et il faut gérer!

Du coup, tout le monde s’y met: les amis, les associations, les mouvements abertzale. Même l’ETA qui dans un communiqué déclare aux gouvernements français et espagnol que Jon Antza est un membre de l’organisation et que son déplacement à Toulouse avait pour but de remettre de l’argent à d’autres militants, et sous-entend que le militant disparu pourrait fort bien avoir été séquestré, ou bien par la police de l’État espagnol, ou bien par celle de l’État français, ou bien par les deux.  Une façon comme une autre d’obliger Rubalcaba et Madame Alliot-Marie à mettre la pression sur leurs services respectifs en supposant que Jon aurait fort bien pu être victime d’une action inavouable de leurs subordonnés. Peine perdue. Tout ce qu’on obtient, c’est une perquisition en règle du domicile de Jon Anza. L’ETA persiste et précise que la police espagnole était parfaitement au courant des activités du disparu depuis début 2009, date à laquelle ses empreintes avaient été relevées sur du matériel informatique dans un « zulo » (une cache), mais que la police avait dissimulé cette découverte. Pour l’ETA, pas de doute : la disparition de Jon est de la responsabilité exclusive des appareils de répression des États espagnol et français.

Conséquence: alors que le Ministère de l’Intérieur français garde un silence prudent, Alfredo Pérez Rubalcaba, dans une conférence de presse tenue le 15 juin 2009, dément que les forces de sécurité de l’État aient quelque chose à voir avec la disparition de Jon Anza.  Il laisse même entendre que l’homme aurait pu disparaître avec l’argent de l’organisation. A moins que ce ne soit l’ETA elle-même qui l’ait liquidé! C’est une terrible accusation que rien ne permet d’étayer. Les quotidiens espagnols de droite se sont fait l'écho de l’idée exprimée par le ministre de l’Intérieur espagnol. Pour les proches de Jon Anza, c’est «une monstrueuse calomnie et un énorme mensonge ». Quant aux medias français, c’est « no comment ». Une conception particulière, sans doute, de leur mission d’information.

A moins qu’il ne s’agisse d’un « silence imposé qui cacherait une stratégie obscure ». C’est ce que pense Koldo Anza, le frère de Jon.

 

Et maintenant ?

Plusieurs mois après sa disparition, on reste sans nouvelles, malgré les recherches menées, malgré la distribution de photos dans les gares situées sur le trajet du train Bayonne-Toulouse…

Non da Jon ? Où est Jon ?

La famille a perdu l’espoir de le revoir vivant, et doute même qu’on retrouve son corps. Pour ses proches, les appareils répressifs des deux États sont responsables de la disparition de Jon, comme aux temps de la « guerre sale » l’époque du BVE (Batallón Vasco Español), de la Triple A (Alianza Apostólica Anticomunista), du GAL (Grupo Antiterrorista de Liberación) et autres organisations chargées de liquider les militants aberzale autour des années 80.

 

Parce que ce n’est pas la première fois que des gens s’évaporent dans la nature !

 

Disparitions

Pour ne citer que les disparitions  les plus connues en Iparralde, il y a celle d’Eduardo Moreno Bergaretxe, dit Pertur, en 1976, celle de Popo Larre en août 1983, celles de Joxi Lasa et Joxean Zabala en décembre de la même année. Et toutes présentent de troublants points communs avec celle  de Jon Anza.

D’abord, tous étaient des militants indépendantistes basques et ensuite tous ont disparu sur le territoire français.

Pertur, natif lui aussi de Donostia, a été vu pour la dernière fois à Urrugne, où l’avaient amené deux autres militants, Apala et Pakito, pour participer à une réunion. Depuis, plus de nouvelles, pas de corps, rien. Bien qu’un communiqué de la Triple A ait revendiqué cet enlèvement, les autorités se sont contentées de laisser entendre que Apala et Pakito pourraient fort bien avoir  « liquidé » Pertur sur ordre d’une fraction de l’ETA, à une époque où poli-mili et mili s’opposaient au sein de l’organisation.

Lasa et Zabala étaient deux jeunes réfugiés politiques, comme Jon. Ils ont été enlevés en plein cœur de Bayonne, place Pontrique. Pendant dix ans, comme pour Pertur, comme pour Jon Anza, pas une information, pas un signe de vie. Cela aurait pu durer indéfiniment si, en mars 1995, le responsable de la morgue d’Alicante n’avait pas mis un point d’honneur à identifier les corps de deux hommes dont on avait retrouvé les restes dans un champ, où leurs cadavres avaient été recouverts de chaux vive. L'autopsie ne fera que confirmer leur calvaire: ongles arrachés, tiges d'acier enfoncées dans les gencives, coups portés par des barres de fer, balle dans la nuque. Pauvres gamins! A quelle sorte de bêtes fauves ont-ils eu affaire?

Plusieurs responsables du gouvernement espagnol ainsi que des gardes civils seront condamnés pour ces faits attribués au GAL. Mais leur détention sera de courte durée. Ainsi va la justice!

 

La disparition de Popo Larre, survenue quelques mois plus tôt, s’entoure elle aussi du brouillard le plus complet. Le 6 août 1983, à la sortie d’un camping à Léon (Landes), une fusillade éclate entre des membres de la gendarmerie et quatre militants de l'organisation Iparretarrak, dont Popo. L'un des militaires est tué, un autre blessé. Lors de l’échange de coups de feu, Popo fuit dans la forêt. À partir de ce moment-là, le militant abertzale ne redonnera plus jamais aucun signe de vie. Pas même à sa mère dont il était pourtant très proche. Ses amis le cherchent partout: rien! Quinze jours plus tard, la police trouvera un cadavre qu’elle fera passer pour celui de Pascal Dumont, un adolescent disparu au Porge l’avant-veille. Mais le corps est abîmé comme s’il avait séjourné longuement dans l’eau. Les parents Dumont ne le reconnaissent pas, il s’agit d’un jeune homme inconnu, plus âgé manifestement que leur fils. Les policiers insistent, au mépris du chagrin de la famille. L’examen ADN est refusé, comme inutile, et on enterre le cadavre dans la tombe familiale. Pourtant, Madame Dumont continue à dire que c’est un inconnu qui repose dans le cimetière. Mieux encore: les parents affirment avoir entendu la voix de leur fils quelques années plus tard, et sont persuadés qu’il est la victime d’un réseau pornographique. A la question : « Non da Popo? », on peut ajouter cette interrogation lancinante: « Non da Pascal? ». Si les faits sont exacts, l’enquête bâclée l’aura condamné à un enfer. Y a-t-il une quelconque « raison d’état » qui puisse justifier de telles monstruosités?

 

« Bai, oui, mais, me direz-vous, tout ça, c’est de l’histoire ancienne! ». J’aimerais bien en être sûre!

Depuis quelques mois, des faits inquiétants se sont produits : d’abord Juan Mari Mujika, un exilé politique qui, en décembre 2008, a été enlevé à Saint-Palais et retenu prisonnier pendant deux heures par plusieurs personnes qui s’étaient présentées comme étant des policiers. Puis un autre ex-prisonnier politique, Lander Fernández, a lui aussi déclaré avoir été séquestré à Bilbo par des policiers espagnols qui se sont présentés comme membres de la ertzaintxa, la police basque.  Et pour compléter la liste, il y a en date du 17 juillet dernier l’enlèvement de l’ex-prisonnier basque Alain Beraztegi près d’Irunberri. Séquestré pendant sept heures par une quinzaine d’hommes masqués, il raconte qu’il a été battu, torturé et menacé de représailles en cas de non-collaboration…

Y a-t-il une résurgence de la guerre sale ? Jon Anza en a-t-il fait les frais ?

 

Aussi longtemps que le corps de Jon ne sera pas découvert, l’enquête ne pourra être close. Il est probable qu’il y a quelque part des gens qui souhaitent que l’affaire soit oubliée, parce qu’ils savent parfaitement ce qui est arrivé à Jon Anza Ortúñez. Rappelons-leur l’article 22 du Code pénal d’Espagne: « Sont des circonstances aggravantes … le fait de commettre l’infraction avec perfidie. Il y a perfidie quand le coupable commet quelque infraction contre les personnes en employant pour son exécution des moyens, modalités ou procédés qui tendent directement ou spécialement à l’assurer qu’il peut agir sans risque pour sa personne de la défense que pourrait lui opposer la victime ». Et pour le Code pénal français de 1993, selon l’article 222-3,  il y a  circonstances aggravant les coups et blessures lorsque la victime est « une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ». Difficile de croire que le (ou les) agresseur(s) de Jon n’ai(en)t pas eu conscience de son état! Ils savent peut-être que cette « infraction » (doux euphémisme !) fait du « simple» meurtre un assassinat  passible de 20 ans de réclusion criminelle…

            Les responsables se taisent.    

Qu’ils nous disent ce qu’ils ont fait de Jon!

 

            Non da Jon?

Non da Justizia?

Non da Demokrazia?

 

Annie Arroyo

 

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