Projeté
dans le champ médiatique français l'automne dernier à la faveur du
conflit sur la privatisation de la SNCM, et surtout de la prise du
paquebot Pascal Paoli par les marins du STC, le responsable du
secteur maritime du syndicat corse Alain Mosconi a répondu
positivement la semaine dernière à l'invitation du syndicat LAB.
Nous avons rencontré cette figure du syndicat abertzale et
majoritaire en Corse peu avant sa conférence sur "l'Avenir des
services publics".
Quelle est votre situation
judiciaire ?
Je suis mis en examen pour deux
crimes qui sont le "détournement de navire", passible de 20 ans
d'emprisonnement, et la "séquestration" qui est une circonstance
aggravante et pousse l'addition à 30 ans de réclusion criminelle.
Aujourd'hui, c'est la première fois que des syndicalistes dans le
pays des droits de l'Homme, se voient inculper de deux crimes de
nature assez importante. Et c'est la première fois également qu'ils
devront répondre devant des Assises.
Où en est-on aujourd'hui dans
le conflit de la SNCM ?
Il me semble que les organisations
traditionnelles, les organisations françaises, semblent s'accommoder
pleinement de la privatisation de la SNCM. Ce qui est assez
paradoxal lorsqu'ils ont parfois la prétention de chanter
l'Internationale, de promettre parfois des lendemains qui chantent,
et de se réclamer, à d'autres, de la révolution permanente. Sans
être donneur de leçons, je constate que l'organisation majoritaire,
CGT, aurait pu avoir un autre rôle que celui qu'elle a eu,
c'est-à-dire un rôle d'accompagnement. Rôle confirmé par la CGT
elle-même en lieu et place du 61 boulevard des Dames [siège de la
SNCM] : on a pu voir dans la presse locale les responsables du
groupe Véolia en compagnie du secrétaire général de ladite centrale
tout sourire... En ce qui nous concerne, nous sommes clairement
opposés à la privatisation, en termes philosophique, parce que nous
pensons que des domaines stratégiques, tels que l'enseignement, la
santé, les transports (pour la Corse, territoire insulaire),Š
doivent rester à la puissance publique. Et nous, nous entendons par
là, Collectivité territoriale de Corse (CTC).
Dans certains médias le STC
était quelque peu raillé, "ah ah, des nationalistes corses réclament
un service public français !"...
J'ai effectivement vu des
journalistes parisiens qui croient toujours tout comprendre à tout,
faire ce reproche-là au STC. Je m'inscris en faux. Le STC n'a pas
défendu la cocarde républicaine. Le STC a tout simplement défendu
une logique de syndicaliste. Logique qui est de dire que ce secteur
d'activité ne doit pas être privatisé, il doit rester à la force
publique. Nous allions plus loin en disant pour nous force publique
équivaut à la régionalisation de l'entité. Il n'est pas juste de
dire que le STC cultivait le paradoxe en défendant la compagnie
d'Etat. On défendait d'abord un schéma public. On n'a jamais fait en
sorte de faire les actions que nous avons faites pour maintenir la
SNCM en l'état. Nous avons toujours souhaité une évolution organique
et juridique de la SNCM, qui passerait d'une entreprise publique
d'Etat, à une entreprise publique territoriale. Pour nous
l'important est de rester dans le giron public, et de permettre à la
Corse de disposer pleinement et entièrement des outils de
développement économique et social de son territoire.
Justement, est-ce que la
puissance publique régionale de Corse a les moyens financiers
d'assurer un tel service public ?
Bien sûr que oui. Elle prétend que
non. Or lorsque l'on voit que le gouvernement cède une entité qui a
un actif qui est jugé à 450 millions d'euros, et lorsqu'il le cède
aux petits amis de service ou de promotion du Premier ministre et
autres pour 35 millions d'euros,Š je me dis que si la Corse n'a pas
35 M¤ à mettre dans un investissement stratégique ! et bien il vaut
mieux que la Corse tire le rideau. Il vaut mieux tout arrêter. D'un
point de vue maintenant juridique, il est évident que Bruxelles n'a
jamais interdit à un concédant du service public d'avoir la
maîtrise, y compris de l'outil. Preuve en est que dans le secteur
aérien, la Corse dispose de ses transports ; elle a sa compagnie
régionale, la CCM (Compagnie Corse Méditerranée) où la CTC détient
66% des parts du capital. La CTC attribue régulièrement, après appel
d'offres, la délégation à son outil. Je n'ai pas entendu, jusqu'à ce
jour, Bruxelles crier au loup ! Je n'ai vu personne saisir les
tribunaux pour le contester.
En matière de transports
maritimes vous parlez de quitter un bilatéralisme enfermant avec la
France, qu'est-ce à dire ?
1976, date d'instauration de la
continuité territoriale entre la Corse et la France. Aujourd'hui
nous sommes à l'heure européenne. Cela voudrait dire que cette
notion bilatérale est antinomique avec la notion même de l'Europe.
Cette dernière doit permettre la circulation dans tous les sens,
entre alter ego, et permettre donc à la Corse de rayonner dans son
environnement. Permettre in fine à la Corse de disposer d'un service
public élargi qui ne s'inscrirait pas uniquement dans son interface,
mais avec la Catalunyia à l'Ouest et l'Italie à l'Est. Prenons
l'exemple de la Sardaigne, 13 km de nos côtes, deux sociétés qui se
ressemblent (socle matriarcal, similitudes culturelles et
linguistiques) et il n'y a pas d'échange entre ces deux territoires,
au XXIe siècle, à l'heure de l'Europe ! N'y a-t-il pas là antinomie,
hérésie ? Il faut permettre la création des outils juridiques
manquants pour permettre à la Corse et à la Sardaigne d'instaurer
entre elles des échanges, une économie. Ce n'est actuellement pas le
cas. Nous disons donc que ce schéma est obsolète, et nous empêche de
nous développer. La France le sait très bien, mais elle s'y complaît
parce que c'est un moyen pour elle de continuer sa domination.
Pour revenir au conflit de la
SNCM ; la façon d'aborder la question des services publics a été
l'abordage...
Rappelez-vous mes premières
interventions dans les médias. Je suis en direct à ce moment-là sur
France 2. Je dis d'abord que ce n'est pas un acte de désespoir mais
d'espoir. Qu'est-ce que nous faisons ? Comme nous nous élevons
contre la privatisation, nous rendons un outil du développement
économique et social de la Corse à son propriétaire, c'est-à-dire le
peuple corse. On n'allait pas laisser comme ça, des financiers
débarquer qui allaient s'accaparer notre outil de travail payé
largement par les deniers publics de la continuité territoriale.
Nous avons voulu faire un acte militant, qui est un acte de
résistance, qui est un acte qui consiste à dire "nous n'acceptons
pas". Il ne s'agit pas de vol ni de piraterie mais de résistance..
Au final cela n'a pas empêché
la privatisation...
Il y a eu quand même malgré tout
une évolution, souvenez-vous la chronologie des faits. L'évolution
de l'Etat intervient après le Pascal Paoli, qui dit rester à 25% du
capital alors qu'il comptait vendre 100% de la SNCM. Certes, nous ne
crions pas victoire. Mais quand même. Cela démontre au moins deux
choses : que l'Etat pouvait rester dans le capital alors qu'il
affirmait le contraire ; et que lorsque les travailleurs prennent
leur courage à deux mains et font preuve de détermination ils
arrivent à infléchir des décisions y compris de la quatrième
puissance mondiale.
La revendication portée par le
STC de "corsisation" des emplois est peu ou mal comprise dans la
métropole, d'aucuns y voyant des connotations...
fascisantes. C'est le costume que
l'on m'a taillé. Je vais le dire clairement je l'ai dit devant des
millions de Français à l'émission Mots-croisés d'Arlette Chabot.
J'ai dit que je m'élevais contre tout mouvement politique ou
politico-militaire qui s'inscrirait dans une logique fascisante, et
qui inscrirait comme principe le rejet de l'autre par le simple fait
qu'il est différent. Nous avons été tellement rejetés au fil de
l'histoire, et nous savons que trop bien que le peuple corse est
multiracial, constitué de gens venus constituer au fur et à mesure
cette communauté de destins. Les nationalistes corses disent bien
que le peuple corse est constitué de Corses d'origine et de Corses
d'adoption. Moi-même n'ai-je pas un grand-père italien !
Lorsque nous nous sommes battus
pour la corsisation des emplois à la SNCM, nous avons obtenu un
accord qui prévoit un rééquilibrage entre les deux côtés de la
Méditerranée. C'est d'ailleurs consacré par un conseil des ministres
lui-même qui dit que l'accord signé n'est absolument pas ethniciste
et qu'il est valable pleinement dans le droit français. Je doute que
les dirigeants actuels de l'UMP aient un amour débordant pour le STC
et nous aient fait une fleur, surtout au regard de la disproportion
de l'affaire du Pascal Paoli.
Concrètement la corsisation des
emplois c'est quoi ?
Nous pensons que sur cette terre
de Corse, chaque fois qu'il y a un emploi, à compétence égale, cet
emploi doit revenir à un résident corse. Chose qui est également
consacrée en droit français avec les accords de Matignon où la
kanakisation des emplois est tout simplement institutionnalisée. Et
pourquoi les Français n'arriveraient pas à faire à 300 km de leurs
côtes ce qu'ils arrivent à faire à 27000 km ? On me répondra c'est
loinŠ Ce n'est qu'une question de distance ! On me répondra, tu
comprends, là-bas ils sont de couleurŠ Ça, c'est du racisme.
Source photo : U Ribombu
Source internet :
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=51992 |