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CONFERENCE DE PRESSE DU C.A.R
LETTRE OUVERTE A MONSIEUR DEJENNE

Lettre ouverte à 

Monsieur  Dejenne et à sa hiérarchie ministérielle

Directeur de la division 1 de la Maison d’arrêt de la santé,

14, rue de la Santé, Paris

Pour responsabilité morale à messieurs les présidents Rocca Serra et Santini (Assemblée de Corse)

Et pour information à l’ensemble du peuple corse.

Aiacciu le 5 février 2006

Monsieur le directeur,

La présente lettre que nous avons l’honneur de vous écrire est le résultat d’une rencontre que nous venons d’avoir avec des représentants de la famille de monsieur Lucien Rocchi, prisonnier politique corse, actuellement incarcéré dans votre établissement.

Comme le veut le règlement, l’assistante sociale qui s’occupe de monsieur Rocchi a constitué un dossier de rapprochement familial. Une fois ce dossier terminé, vous avez rencontré monsieur Rocchi pour un entretien d’orientation. La famille de notre compatriote nous a relaté avec une rigoureuse et évidente fidélité les propos que vous avez tenus.

Lors de cet entretien d’orientation, entretien habituel faisant suite à sa condamnation définitive à 5 années de réclusion, monsieur Rocchi vous a exprimé, comme la totalité de nos frères condamnés, sa volonté d’être rapproché de sa famille exclusivement résidente en Corse. Il vous a par conséquent demander d’envisager le plus rapidement possible son transfère vers le Centre de Détention de BORGU, comme le prévoit la loi et son décret d’application N°2003259 du 23/03/2003.

Nous sommes bien placé, Monsieur le directeur pour savoir que si ce décret à pu enfin voir le jour et ainsi, au moins dans le texte, permettre à l’administration pénitentiaire de se conformer aux lois en la matière, c’est grâce aux mobilisations populaires et aux revendications politiques initiées par le Comité Anti Répression et le mouvement national corse, toujours prêts à défendre les droits des prisonniers politiques corses et de leurs familles qui sont allégrement bafoués depuis des années.

Vous nous direz peut-être à juste titre, Monsieur, que malheureusement avec ces constatations il n’y a rien de nouveau, en tous les cas rien, qui apparemment nécessiterait l’envoi de ces quelques lignes.

Oui mais, dans votre entretien, vous affirmez, que les choix d’affectations concernant Rocchi, se feront exclusivement dans la région PACA, à Salon de Provence, voire même Avignon. A ces injonctions, fort justement, monsieur Rocchi vous a rétorqué que ces destinations constituaient encore et toujours un exil carcéral avec des complications de trajets et d’hébergements qui engendraient, une augmentation de coût, déjà supporté par les familles, Mosconi, Negroni, Santelli et Ramoin Luciani, obligées de se rendre dans les CD de Toulon, Tarascon, et Salon de Provence. C’est alors, que sans doute à bout d’arguments valables, vous avez évoqué enfin la vraie raison, plus sournoise celle-ci et qui arbitrairement empêcherait la totalité des prisonniers politiques corses d’accéder à ce droit, en lui dévoilant que la priorité pour le rapprochement à Borgu était donnée aux prisonniers de droit commun, la raison étant d’éviter toute concentration de détenus issus de la mouvance que votre administration qualifie de manière insultante de « terroriste » afin d’éviter toute concertation et renouer tout lien entre eux. Puis pour finir, vous lui avez assené avec force et détermination que « le lieu d’affectation dépend directement des autorités de la prison » et que même si une décision ministérielle intervenait sur un choix d’affectation, vous aviez « le pouvoir de passer outre ».

Monsieur le directeur, à la relation de ces propos dont la véracité ne fait aucun doute, plusieurs réflexions s’imposent quant à la gravité de vos affirmations, et il est de notre devoir d’informer nos compatriotes et au delà l’opinion publique en général de ces dernières évolutions négatives ainsi que l’intolérable ostracisme qui prend corps dans ce domaine, et qui s’appuie en particulier sur la complicité zélée d’une certaine direction de l’administration pénitentiaire à la prison de la Santé. En effet, nous l’avons déjà exprimé, si la revendication sur le rapprochement que nous portons depuis plusieurs années doit aussi servir à soulager les difficultés des familles des prisonniers corses de droit commun en exil, nous ne pouvons que nous en féliciter et il ne faut pas compter sur nous pour participer à l’exclusion de leurs droits.

Ce que nous rejetons ici en bloc c’est la mauvaise foi d’un gouvernement qui ne veut pas reconnaître officiellement l’existence de prisonniers politiques, mais qui leur impose un sous statut de droit commun, puis sous prétexte de leur appartenance à une sensibilité politique on transgresse la loi et on s’évertue à construire de fumeuses hypothèses sur une prétendue dangerosité en cas de regroupement en Corse, prétexte pour les écarter définitivement d’un éventuel rapprochement familial.

Monsieur Dejenne, si comme vous le dite si bien vous avez un certain pouvoir, qui vous est conféré par votre situation professionnelle, et très certainement de bonnes aptitudes à l’exercer, nous considérons également que pour accéder à ce poste de haute responsabilité, au sein d’une administration de la république française outre les nécessaires compétences techniques et humaines que sans aucun doute vous possédez, ce poste fait de vous un haut fonctionnaire citoyen de cette même république, et que donc vous n’êtes pas sans savoir que cette république est garante de ses propres lois et qu’aucun de ces citoyens ne peut se considérer au-dessus de la loi. Monsieur Dejenne lorsque cette république, pour défendre son territoire et ses lois, au cours de son histoire tumultueuse et tragique s’est trouvée en danger (par exemple au cours des deux premières guerres mondiales pour ne citer que celles là), elle n’hésita pas à envoyer à ces différentes boucheries plusieurs générations de jeunes corses, plusieurs parents ou grands parents ou aïeuls d’actuels prisonniers politiques corses en faisaient partie. Malheureusement, aujourd’hui à la vue des nombreux signes, dans divers domaines, du mauvais état de santé de cette république et surtout de sa fille aînée démocratie la bien nommée, nous constatons attristés et affligés que leur sacrifice n’a  servi à rien.

Monsieur Dejenne, par votre attitude, aujourd’hui avérée nous comprenons mieux pourquoi, depuis la visite de cinq ministres de la république française qui se sont engagés en 2003 à mettre en application le rapprochement à Borgu « sans exclusive de longueurs et de nature de peine » (selon leurs propres déclarations) aucun des prisonniers politiques corses préalablement incarcérés dans votre maison d’arrêt de la SANTE n’a pu bénéficier du rapprochement familial. Cet état de fait n’est sûrement pas une simple coïncidence troublante et nous n’osons imaginer qu’il s’agit là d’une particulière mauvaise intention dans vos décisions.

Dans tous les cas, Monsieur le directeur, sachez que cela demeure pour nous une mesure discriminatoire de coercition envers des prisonniers déjà lourdement condamnés, et que cela pérennise une insupportable forme de torture blanche constituée par la pression psychologique de l’exil carcéral et qu’en même tant cela condamne à une double et injuste peine de nombreuses familles. Monsieur Dejenne, vous l’aurez compris à la lecture de ces quelques phrases que nous réfutons l’hypocrisie de ces arguments, qui contribuent inutilement à maintenir dans la peine et le désarroi, des mères, des femmes et des enfants de notre peuple. Monsieur le directeur vos allégations suscitent chez nous un sentiment d’injustice et de révolte, car vous connaissez parfaitement l’existence sur la terre de Corse depuis de nombreuses années d’un centre pénitentiaire à Casabianda qui accueille des délinquants sexuels auteur de divers crimes, d’actes de pédophilie, d’infanticides, de viols et autres graves méfaits liés à leur dangereuse pathologie. Ces détenus, selon la volonté du ministère de la justice et au titre d’une thérapie, bénéficie d’un régime carcéral très souple qui leur permet d’évoluer librement sur plusieurs centaines d’hectares de terre agricole du domaine, ou dans d’autres exploitations de la région, quand ils ne vont pas tranquillement livrer le linge du centre à une buanderie de Bastia, comme ce fut le cas d’Emile Louis qui pendant plusieurs mois en assurait librement le service. Malgré le fait que cette implantation pénitentiaire pour le moins particulière est toujours été contestée par une grande majorité de la population de la microrégion, l’administration s’est toujours refusée de considérer les dangers que pouvait constituer une telle concentration de détenus à problèmes sur le même site.

Monsieur le directeur, nous nous permettons de porter à votre connaissance un sondage effectué à la fin de l’année 2003 en Corse qui atteste que plus de 75% de la population corse est en faveur d’un rapprochement des prisonniers politiques corses auprès de leur famille, en Corse.

i votre refus de transférer nos prisonniers politiques vers le CD de Borgu s’abrite derrière un manque de place (nous savons qu’à chaque conférence de presse du CAR dénonçant le fait qu’il y a de la place dans ce CD, dans les jours qui suivent, il est immédiatement rempli par l’arrivée de détenus souvent venus de la maison d’arrêt de… Borgu), nous vous proposons, puisqu’il apparaît selon vos dires que c’est vous qui décidez des affectations des détenus condamnés, de transférer nos prisonniers politiques vers le pénitencier de Casabianca qui a le statut de Centre de Détention, et dans le même temps de transférer les détenus qui l’occupent actuellement vers leur région d’origine, auprès de leur famille, puisque aucun d’entre eux n’est originaire de Corse alors qu’ils sont eux aussi concernés par l’uniformité de l’application de la loi sur tout le territoire et pour chaque citoyen de la république française.

Pour l’heure, les prisonniers politiques corses sont toujours sous la législation en vigueur à l’intérieur de la République Française, à moins que récemment il ait été décidé en haut lieu de les considérer comme des prisonniers de guerre, ce qui alors nous conduirait à porter nos regards vers l’ONU et à étudier attentivement la convention de Genève, qui remarquez, doit peut-être prévoir de meilleures conditions de détentions que celles qu’ils subissent actuellement dans les prisons françaises.

Enfin Monsieur Dejenne, permettez-nous très humblement de faire appel à votre grande intelligence pour tenter de vous faire comprendre qu’ici notre propos n’est pas d’attendre une quelconque clémence de votre part ou de vos supérieurs hiérarchiques, mais tout simplement de vous persuader que le fait de regrouper des prisonniers politiques corses sur un établissement de leur terre n’est absolument pas considéré par notre peuple qui n’est que leur grande famille, comme un danger potentiel, mais qu’au contraire, cela serait dans le cours légal des choses et qu’en plus cela contribuerait clairement à apaiser une situation politique crispée qui d’ailleurs peut et doit nécessairement évoluer vers leur libération. En attenant, Monsieur le directeur, il faudra que votre système cesse de prendre les prisonniers politiques corses et leurs familles en otage, qu’il cesse de transgresser et d’ignorer la loi qui les concernes. Monsieur Dejenne c’est aussi parce ce que vous êtes un citoyen de ce monde que vous devez écouter votre conscience d’être humain, elle vous dira combien tout ce qui est dit ici est vrai, combien tout ce qui est dit ici est juste. Monsieur Dejenne nous n’avons pas l’honneur de vous connaître, mais j’espères que ces quelques mots dont l’objet est d’obtenir l’application des droits fondamentaux pour nos frères incarcérés auront su trouver chez vous une écoute attentive et ouvrir quelque part le chemin de la raison ou d’une autre réflexion sur ce sujet important.

Monsieur Dejenne au nom de tous ceux qui contribuent à améliorer le sort des hommes et des femmes qui souffrent de cette injustice, je vous adresse nos sentiments fraternels de corses et de membres de notre universelle humanité.

Cumitatu contr’à A Ripressione