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Assemblée de Corse Session du 14/11/03
Intervention de César Filippi
Rapport « Tourisme et développement, un projet pour la Corse »
Þ Rappels historiques
La Datar avec le plan de l’Hudson Institute L’opération S.E.T.C.O. Les projets du regretté J. Medecin, alors secrétaire d’état au tourisme qui souhaitait et je le cite : « faire de la Corse un grand terrain de camping ». L’opération Copra.
Des noms qui évoquent l’échec, le peu de sérieux dans la volonté de développer et certainement la volonté de développer sans les Corses. Alors, aujourd’hui faut-il déplorer ou au contraire se féliciter de l’absence de planification de tout développement touristique en Corse. En ce qui nous concerne, vu l’état de toute la côte occidentale de la Méditerranée,(Espagne, Côte d’Azur, Italie), nous sommes satisfaits que le potentiel de la Corse soit encore intact. Le passé est ce qu’il est, nous, nous préférons nous projeter dans l’avenir.
Þ Quel est l’état des lieux ?
Les infrastructures lourdes (assainissement, eau, réseau routier, déchets, aménagement d’espaces) sont soit totalement dépassées sur les sites les plus fréquentés, soit inexistantes sur les sites potentiels, et ne répondent en aucun cas aux attentes de la clientèle ciblée.
Les outils de développement, notamment financiers, font cruellement défaut, tout comme une véritable politique de formation des hommes. A ceci, s'ajoute le phénomène d'insularité, son chapelet de contraintes et de dysfonctionnements: forte saisonnalité et difficultés de transport ( aérien saturé, grèves à répétition). Ce triste constat fait, qu' au troisième Millénaire, la Corse est toujours à l' âge de pierre dans ce secteur d ' activité, réduite à se satisfaire d'un tourisme de cueillette qu'elle continue de subir faute de pouvoir le maîtriser. Seule l'initiative individuelle de quelques acteurs économiques, courageux, certes parfois peu professionnels, voire anarchiques, en essayant de coller à la demande permet néanmoins aujourd'hui à la Corse d ' exister sur le marché touristique. Le manque de volonté politique entraîne forcément le manque de moyens. Voilà pourquoi il fallait tenir les assises du tourisme.
Notre mouvance qui a lutté et luttera toujours contre la politique du «tout tourisme», souhaite s'inscrire dans une logique de développement durable, c'est à dire un tourisme de caractère, maîtrisé, intégré, adapté à la taille du pays mais surtout respectueux de l' homme et de son environnement. Nous réclamions depuis dix ans sans succès la tenue de ces assises. Merci de l'avoir fait.
Seul ce type de concertation officialisée, très large, qui associe les politiques, les acteurs économiques, les institutionnels et même ceux qui subissent le tourisme sans être convaincus d'en tirer profit, permettra de définir un tel concept : « Le tourisme, en Corse, sera l'affaire de tous ou ne sera pas ». Faisons en sorte que la planification du développement, les règles qui seront édictées, les moyens qui seront affectés donnent leur juste place aux Corses et remplacent l'anarchie, le déséquilibre littoral-intérieur, toutes ces injustices jusqu ' à présent ponctuées par le fracas des bombes. Nous voilà saisis d’une opportunité qui contribuera à les faire taire définitivement.
Nous attendions beaucoup. Nous ne sommes qu’en partie satisfaits.
Avec cette démarche, nous souhaitions inscrire la Corse dans le marché du tourisme qui est un marché planétaire. Nous sommes déçus. Pour situer ce rapport, je vais utiliser une métaphore sportive. Nous avons décidé de participer au championnat du monde automobile et nous sommes en train de préparer la voiture corse. Or, dans ce rapport nous traitons uniquement des équipements optionnels du véhicule. Nous n’avons pas encore choisi le châssis (schéma de développement et équipements structurants). Quant au moteur que nous possédons actuellement, je veux bien sûr parler des transports, il lui arrive de tousser, de caler ou de s’emballer sans pour autant aller plus vite (camping cars). Avec une telle motorisation, nous ne sommes pas sûrs de franchir le cap des essais et de figurer honorablement dans la course.
Ceci étant précisé, nous partageons à 80% les grandes lignes du rapport d’autant que nous en sommes pour partie les initiateurs.
Quelques remarques sur le contenu.
Dans le préambule vous faites allusion à la sécurité et vous souhaitez un climat général apaisé. Nous aussi. Mais de grâce, ne forcez pas le trait. Je ne puis m’empêcher de vous rappeler que 1998, année record des attentats en Corse et de l’assassinat du préfet Erignac est aussi l’année de référence pour le redémarrage du tourisme sur l’île. Paradoxal non ? Plus récemment, l’après 11 septembre et ses conséquences pour le tourisme mondial ont fait apparaître un regain d’intérêt pour la Corse considérée par les agences de voyage et les Tour opérateurs comme une destination sûre. Les statistiques de fidélisation révèlent qu’un touriste sur deux revient en Corse. Ceci démontre que la violence politique n’a pas d’effet significatif sur la fréquentation touristique en Corse.
En ce qui concerne l’OFFRE CORSE :
Vos chiffres sont minorés par rapport à ceux de l’INSEE. Notamment en ce qui concerne les résidences secondaires (60.000 pour 200.000 personnes au lieu de 60.600 pour 300.000). Minorés et orientés : 100.000 lits disparaissent et sont transformés par magie en un « hébergement chez parents et amis, important mais difficilement quantifiable ».
Nous, nous en avons une autre lecture.
En 1990, la Corse comptait: - 118.000 lits pour le secteur marchand - 100.000 lits pour le secteur para-commercial En 2000 : - 120.000 lits pour le secteur marchand, - 300.000 lits pour le secteur para-commercial. Ce premier constat sur l'évolution comparative est édifiant et se passe de commentaire : - 2% de progression pour le secteur marchand , - 200% de progression pour le secteur para-commercial
Il faut enfin tirer les enseignements de la décennie écoulée durant laquelle ni le «lascia corre» (absence de POS et d'infrastructures lourdes: assainissement, eau), ni les rigueurs de l'administration (loi littoral), ni même la violence politique n'ont su empêcher la création de 200.000 lits para-commerciaux auxquels il faut ajouter la prolifération de structures précaires (mobil homes) et le développement du camping et caravaning sauvages.
En dix années, le bilan est accablant : - occupation du sol en nette augmentation, - pollution et déchets en nette augmentation, - produit recette nette en stagnation voire en recul, - taxes propres au tourisme en nette diminution - emplois en stagnation et donc en contradiction avec l'apparition de 200 000 lits Aucune création d'emplois et très forte prolifération du travail au noir. Il est évident que les activités quotidiennes de service dans les somptueuses résidences louées entre 15.000 et 45.000 € mensuels ne sont effectuées ni par les touristes ni par les loueurs.
Même si ce secteur parallèle apporte un plus non négligeable au niveau de la consommation, on ne peut décemment bâtir une économie touristique sur ces bases. Il n’apporte aucune taxation complémentaire, taxe de séjour, enlèvement d'ordures car ces dernières ne sont appliquées qu’aux seuls professionnels et contribuables locaux. Ce n'est pas en agissant de la sorte que nous construirons en Corse une économie qui permette l’émergence d’une société équilibrée dans toutes ses composantes.
Le secteur marchand a pu seulement cette année, grâce à l'étalement de la saison, faire pratiquement jeu égal avec le secteur para-commercial en nombre de nuitées (45/55).
Il est intéressant de noter que la promotion et la mise en marché de ce para-commercialisme sont, la plupart du temps, assurées par les syndicats d'initiative et les offices du tourisme en grande partie financés par de l'argent public.
En rappelant ces abus, je n’entre pas dans une démarche corporatiste. Je corrige simplement l’oubli d’une dérive qui curieusement n’a été dénoncée dans aucun des nombreux rapports (Cailletau, Glavany) ou commissions d'enquêtes parlementaires qui ont ces dernières années accablé la Corse.
Comment un inspecteur général des finances, qui s'est amusé à compter les 4 x 4 en circulation dans l'île a-t-il pu omettre cette donnée majeure d’une toute autre signification pour les finances de l’Etat : 60% des recettes touristiques de la Corse échappent au secteur marchand, à toute taxe et à tout impôt y afférant ... Dans la structuration de l'offre nous devons absolument tenir compte de ce constat et y remédier.
Chap III : LES RECOMMANDATIONS :
En ce qui concerne les 12 points de recommandations issus de la Conférence régionale du tourisme, nous partageons volontiers cette analyse.
Chap IV : LA TRADUCTION STRATEGIQUE :
L'occupation de l'espace est un élément majeur de la réussite touristique d'une région. En Corse, on a constaté à l’occasion de la conférence, une volonté partagée par une large majorité d’inverser la tendance actuelle et de tendre vers un rééquilibrage littoral intérieur et nous nous en félicitons. En effet, l'agence du tourisme de la Corse subventionne à hauteur de 30% les créations à l'intérieur de l'île et uniquement à hauteur de 10% les créations sur le littoral. Ces 10% devront être investis sur l'environnement. Cela est bien, mais ne suffira pas à infléchir la tendance.
Le marché est clair à ce sujet, 80% de la clientèle qui fréquente la Corse est une clientèle qui recherche une destination balnéaire. Devons-nous nous laisser imposer la loi du marché pour développer l'offre touristique ? D'autres pays l'ont fait avant nous. Nous en connaissons aujourd'hui le résultat. Les littoraux tant espagnol qu’italien n'attirent plus qu'une clientèle de très bas de gamme dont les recettes générées ne suffisent pas même pour l'entretien des structures.
La Corse doit tirer les enseignements de ce constat. Elle doit mettre à profit sa géographie. La montagne dans la mer doit être un atout supplémentaire. Elle doit pouvoir nous permettre d'installer nos touristes consommateurs balnéaires dans les villages, sur le piedmont. L'exemple de la diaspora Corse à 80% dans cette configuration et qui profite de tous les plaisirs de la mer est à méditer .
Les mesures incitatives que nous proposons n'y suffiront pas. Le plan de développement de la Corse fait état de seuils de fréquentation à ne pas franchir et se dédouane en écrivant, je cite : « la population touristique ne doit pas dépasser une fois et demie la population résidente », il s'agit bien sûr d'une moyenne sur la période de crête. Mais comment passer de ce voeu pieux à une réelle maîtrise.
Faut-il envisager de fixer des notions de seuil au niveau des communes après planification? Voilà une des questions primordiales auxquelles le rapport ne répond pas.
Nous préconisons d’utiliser, sans le consommer, le potentiel actuellement préservé. Il faut s’appuyer sur la très forte demande du marché mais sans le saturer. Il s’agit de faire de la Corse un produit original qui conserverait sa spécificité dans le temps; c'est ce qu'on appelle aujourd'hui je crois le « développement durable ». C'est également ce que conseille le Code d'éthique de l'Organisation Mondiale du Tourisme; un code qui aurait pu être rédigé, pour l'essentiel, par la mouvance nationaliste tant les recommandations et les condamnations qui y figurent sont semblables aux nôtres dans ce domaine. Cette planification nous devons la réaliser; nous la devons aux jeunes Corses qui veulent vivre et travailler au pays. Cette planification doit être originale, hors des schémas classiques, donc forcément contraignante. Ainsi il ne faut pas exclure l’éventualité de fixer des seuils de fréquentation touristique pour les communes saturées de manière à convertir cette pression touristique en une pression dynamique qui irrigue les communes voisines. Vous avez rejeté cette notion en lui substituant celle de respect des équilibres. Ceci vous dédouane à peu de frais mais le problème demeure entier.
Augmentation de l’offre (création) :
Votre proposition de « compléter l’offre hôtelière sur des segments non pourvus en créant 10 à 15 établissements nouveaux d’une capacité de l’ordre de 100 à 150 chambres et de confort minimum 3*** » nous interpelle. Sans fermer la porte à la création, nous ne sommes pas convaincus de la pertinence d’une telle mesure sur l’ensemble du territoire corse. Peut-être se justifiera-t-elle après la mise en marché de l’ensemble de l’offre existante dans les villes d’Ajaccio et de Bastia. Pour mémoire, les 2/3 du parc existant ont encore besoin d’être restructurés et mis en marché. Si cette proposition est destinée à pourvoir les futures villes de congrès, il ne faudrait pas oublier qu’en parts de marché et dans les meilleures conditions d’exploitation ce créneau de clientèle ne représente que 30% du chiffre d’affaires annuel d’un établissement. Comment rentabiliserez-vous ces structures urbaines quand on sait que 80% de la demande en Corse est constituée par une clientèle de séjour ? Nous pensons qu’il serait plus prudent de revoir ce chiffre à la baisse.
Chap V : LES MESURES :
= 1.Organisation et structuration du territoire :
* Les pôles touristiques :
Nous demeurons, comme nos propositions institutionnelles l’ont démontré, partisans d’un redécoupage politico-administratif de la Corse. Les pôles touristiques illustrent parfaitement cette nouvelle réalité économique et sociale qu’il faut réaliser et faire vivre. Des pôles n’existent et ne fonctionnent que dans les micro régions qui comptent des acteurs économiques dynamiques. Ailleurs, pour faire naître la démarche, qui va jouer le rôle d’animateur ?
* Nautisme et plaisance :
L’extension des ports de plaisance : pourquoi pas ? Surtout si ces extensions vont réduire voire faire disparaître l’anarchie des mouillages. Dans ce domaine, on peut malheureusement parler de l’exception corse qui crée une situation de non-droit. Le camping sauvage en mer cause autant de dommages sur le milieu marin que sur la terre ferme.
* Les parcours de golf :
Là vous nous posez un véritable problème. Nous ne pouvons en aucun cas cautionner la proposition de créer un axe directeur golfique qui ferait endosser à la collectivité une paternité et une responsabilité financière dans la gestion aléatoire de ce type d’activité. Cette proposition appelle un certain nombre d’objections : - Aucun des 571 golfs français n’est rentable sur sa seule exploitation. Si la collectivité trace l’axe directeur d’un plan golfique, elle aura à assumer la paternité des structures créées et à pourvoir aux déficits. - Ces deux dernières années, il a été demandé aux hôteliers de restreindre leur consommation d’eau. Comment dans ces conditions entretenir une demi-douzaine de parcours particulièrement gourmands en eau ? A moins d’avoir la possibilité d’arroser, comme la BA 126 de Solenzara, son golf toute l’année, sécheresse ou pas. En revanche, nous ne refusons pas le principe suivant : la participation à un projet viable qui naîtrait dans une région déjà développée, où le besoin du produit « golf » se ferait sentir et où les infrastructures lourdes existent déjà.
En ce qui concerne les chapitres suivants : - les activités du tourisme , - L’amélioration de la compétitivité de notre offre, - les aspects sociaux et les ressources humaines, - la sensibilisation à l’intérêt du tourisme et de ses métiers, - l’optimisation de l’adéquation ressources humaines, formation, emploi, - la prise en compte du logement des personnels, - l’incitation à la pérennisation des emplois, nous avons suffisamment travaillé à la prise en compte de ces dossiers dans les différentes commissions de l’assemblée et de l’ATC ces cinq dernières années pour qu’aujourd’hui notre position soit connue de tous. Aussi nous vous épargnerons une récapitulation fastidieuse des conclusions de ces travaux en même temps que le paiement des droits d’auteurs.
Enfin, nous aurions aimé voir figurer dans ce rapport deux sujets qui aujourd’hui posent problème dans le domaine touristique. Les camping cars. Après deux tentatives infructueuses dans cette assemblée et un projet de motion commune avorté à l’ATC, nous n’avons pas renoncé à solutionner ce problème. Espérons que d’ici là nos efforts de promotion ne soient pas réduits à néant par un acte irréfléchi d’une population de plus en plus excédée par cette sur-fréquentation sauvage. Près de 40.000 camping cars ont débarqué l’été dernier en Corse.
Pour ce qui est des recettes, les communes cherchent désespérément des financements nouveaux pour faire face aux frais de fonctionnement liés à la charge des touristes sur leur territoire. Nous vous rappelons notre proposition de taxe de séjour forfaitisée et régionalisée perçue à la délivrance du titre de transport.
En conclusion, nous ne pouvons, en l’état, voter ce rapport. Nous ne partageons pas votre point de vue sur trois points essentiels : - l’occupation de l’espace sans établir des notions de seuils, - le plan golfique, - la création non motivée de 15 hôtels de 150 chambres. Notre vote dépendra de vos contre-propositions sur ces trois points.
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