Alors
que le message lancé ce week-end par Arnaldo Otegi ‹qui n’a
d’ailleurs pour l’instant pas été contredit ni par le PSE ni par le
PNV‹ invite au pessimisme, les perspectives d’avenir à court ou long
terme ne sont pas non plus rassurantes.
En effet, à long terme, les
élections législatives de printemps 2008 vont beaucoup peser dans
les décisions du PSOE, qui devra faire face à la pression électorale
du Parti Populaire dans le cas où le gouvernement de José Luis
Rodríguez Zapatero s’engage de nouveau dans un processus de paix.
Et à court terme, les procès
ouverts à l’encontre des dirigeants et des mouvements de la gauche
abertzale vont dans le sens contraire d’un processus d’apaisement du
climat politique. En effet, alors que vendredi le juge de l’Audience
Nationale espagnole Fernando Grande-Marlaska décidait de rouvrir un
dossier classé sur Arnaldo Otegi concernant un délit présumé
"d’apologie du terrorisme", jeudi, le Tribunal suprême espagnol
devra trancher sur le recours présenté par le dirigeant de Batasuna
concernant la peine de 15 mois de prison à laquelle il avait été
condamné pour avoir participé en 2003 à un hommage rendu au
dirigeant historique de l’ETA José Miguel Beñaran Ordeñana, Argala,
tué en 1978 par l’extrême droite espagnole.
Si le Suprême confirme la peine,
elle s’ajoutera à une autre d’un an de prison dictée contre Arnaldo
Otegi en 2005 pour "outrage" au roi Juan Carlos de Bourbon. Les deux
peines cumulées, le principal représentant de la gauche abertzale
dans les négociations politiques devrait aller en prison. De mauvais
augure pour le processus.
À cela il faut rajouter les
informations de presse selon lesquelles l’organisation armée basque
a décidé de reprendre les armes.
Le quotidien proche du
gouvernement socialiste El País affirme que "la police, la garde
civile et le CNI [services de renseignement espagnols, nldr] sont
d’accord sur le fait que l’ETA prépare une action terroriste à court
terme". "Le plus probable", ajoute El País, "c’est que l’ETA
commette un attentat spectaculaire sans victime pour montrer sa
capacité opérationnelle et accroître sa capacité d’intimidation et
de chantage".
Au-delà de la véracité de ces
informations, elles représentent un nouvel obstacle à une éventuelle
reprise de confiance entre les deux parties. Et sans un minimum de
confiance, le dialogue semble difficile, et les engagements
impossibles.
Le processus de dialogue politique n’est plus. Si la
gauche abertzale tirait la sonnette d’alerte sur la situation
"critique" du processus, ce week-end, le leader souverainiste
Arnaldo Otegi a annoncé qu’il n’existait plus, "le PNV et le PSOE
ayant quitté la table" des négociations. La situation actuelle se
trouve dans un "collapsus total", a-t-il décrit.
Accompagné des membres de la
commission de négociation, Arnaldo Otegi a regretté qu’à ce jour "la
gauche abertzale soit le seul interlocuteur qui reste assis à la
table". Le PSOE et le PNV "ont lâché l’affaire" et "ont quitté la
table". La situation actuelle est, selon Arnaldo Otegi, "d’une
extrême gravité".
Le dirigeant de la gauche
abertzale a fait le bilan du processus politique amorcé suite à la
déclaration de l’ETA d’un cessez-le-feu permanent. Une période
d’espoir au cours de laquelle les citoyens basques ont été les
témoins de "la construction d’une opportunité pour résoudre le
conflit politique dans ce pays". Cette opportunité "historique"
existe encore, a-t-il ajouté tout en précisant que dans le contexte
actuel, en l’absence du PNVet du PSOE, ce n’est pas possible.
C’est dans un souci de
"transparence" que la gauche abertzale a dit se présenter devant la
presse pour rendre compte de la situation du processus, a expliqué
Arnaldo Otegi. Rappelant que cette "opportunité historique" est le
résultat d’une série de rencontres que Batasuna et le Parti
Socialiste d’Euskadi ont eues pendant des années, Arnaldo Otegi a
souligné que les deux partis ont partagé une idée centrale: "que le
conflit basque relève d’un problème politique dont la solution
devrait avoir également une dimension politique".
Une "solution démocratique" qui
devrait répondre aux deux questions "fondamentales", selon Batasuna,
la question du territoire basque et la question du droit à
l’autodétermination.
Des
années de discussions
Après
six ans de rencontres discrètes, qui ne se sont pas rompues malgré
l’interdiction de Batasuna, le point d’inflexion est arrivé avec la
déclaration d’un cessez-le-feu permanent de la part de
l’organisation armée basque. Cette annonce aurait dû déclencher "un
dialogue honnête", mais ça n’a pas été le cas a regretté Arnaldo
Otegi, qui n’a pas souhaité évoquer les différents obstacles qui ont
rendu difficile le processus, dont son incarcération sept jours
après la déclaration de l’ETA.
"Malheureusement", a-t-il résumé,
"le PSOE et le PNVont mis en place une stratégie pour dénaturaliser
le processus et transmettre à la société l’idée d’un processus
technique", c’est-à-dire, l’abandon définitif des armes de la part
de l’ETA.
Deux mois après le cessez-le-feu
"le processus était déjà bloqué", mais dans un souci de "discrétion
et d’honnêteté, la gauche abertzale n’a pas souhaité le rendre
public". Le processus a suffisamment avancé pour que le 29 mai
Batasuna et le PSE prennent chacun des "engagements" dont la mise en
scène d’un dialogue bilatéral avec une rencontre officielle devant
la presse.
L’annonce de cette rencontre, le
secrétaire général du PSE l’a faite le lendemain, le 30 mai, comme
convenu par les deux partis, dans le journal du soir de la radio
publique basque Radio Euskadi.
À la grande surprise des
auditeurs, Patxi Lopez admettait qu’il fallait "passer des contacts
actuels à une phase de négociations" et que la formation qu’il
dirige allait rencontrer formellement des représentants "de la
gauche abertzale, dont nous apprécions et reconnaissons le pari
[qu’ils ont fait] pour l’ouverture d’un nouveau cycle politique". Le
secrétaire général du PSE ajoutait lors de cette émission que la
gauche abertzale était un "interlocuteur nécessaire" pour la mise en
place d’un processus de paix. L’un des engagements pris par Batasuna
et le PSE était d’élaborer et de présenter au PNV un brouillon
d’accord qui devait être signé par le PSE ainsi que par la branche
socialiste navarraise (PSN) avant le 31 juillet. La table
multipartite pourrait ainsi se constituer au début du mois
d’octobre.
Le 31 mai, le chef du gouvernement
espagnol annonçait au Congrès que la volonté de l’ETA d’arrêter la
lutte armée avait été vérifiée et que le fait de "ne pas être arrivé
à la paix n’empêchait pas le début du dialogue politique".
Les
réunions à trois
La
photo officielle du lancement du processus de dialogue politique a
été prise le 6 juillet. D’un côté de la table, Patxi Lopez et
Rodolfo Ares; de l’autre, Arnaldo Otegi, Rufi Etxeberria et Olatz
Dañobeitia. Pour la première fois depuis des années, des
représentants du socialisme basque et de la gauche abertzale étaient
assis face à face devant les flashs.
Malheureusement, ce ne fut qu’un
miroir aux alouettes en plein milieu du désert. Il n’y a eu ni
accord ni brouillon d’accord. Les semaines suivantes ont débouché
sur une impasse, et l’été s’est écoulé sans que les partis prennent
d’engagement.
C’est dans ce contexte de blocage
qu’en septembre, la gauche abertzale, le PNV et le PSE ont commencé
une série de réunions à trois. Douze rencontres trilatérales au
cours desquelles deux brouillons ont été rédigés, le premier sur le
droit à décider et le second sur la question de la territorialité.
Mais, selon Arnaldo Otegi, les engagements pris alors étaient trop
ambigus et tant le parti nationaliste basque que le parti socialiste
ont refusé de les concrétiser.
C’est alors que la gauche
abertzale a mis sur la table une proposition d’autonomie pour les
quatre provinces du Pays Basque sud. Le PNV et le PSE ont accepté à
leur tour de faire des propositions. Ce qu’ils n’ont pas fait. Lors
des rencontres du mois de novembre la situation n’a pas pu se
débloquer.
La gauche abertzale a décidé de la
débloquer en présentant publiquement sa proposition d’autonomie.Une
proposition double qui prenait en compte également les provinces du
Pays Basque nord. "Depuis, on n’a pas connu d’alternative de leur
part", a regretté Arnaldo Otegi, "on n’a eu qu’un Non catégorique à
notre proposition".
Le 30 décembre, l’attentat de
l’ETA à l’aéroport de Barajas a provoqué de la part du gouvernement
espagnolune réaction de rupture du processus de négociation avec
l’organisation armée. Une rupture qui a contaminé le dialogue entre
les partis politiques. Depuis, des contacts ont eu lieu mais aucune
avancée n’a été constatée. C’est dans ce contexte qu’Arnaldo Otegi a
déclaré que le processus se trouvait dans un "collapsus total".
"Les principaux interlocuteurs ont
quitté la table et ont dit à la gauche abertzale que les Basques des
quatre territoires ne pouvaient pas construire un cadre
institutionnel commun s’ils le souhaitaient, et qu’ils n’ont plus le
droit de décider librement et démocratiquement de leur avenir", a
déclaré Arnaldo Otegi tout en précisant que "l’accord politique et
la paix sont toujours possibles au Pays Basque à condition qu’il y
ait une véritable volonté d’y parvenir". "Voilà notre engagement", a
insisté Arnaldo Otegi, tout en appelant à une "réflexion dans le
calme" qui permette de relancer le processus.