Je
viens de refermer votre livre « Corse. Quel Avenir ?
L’Indépendance ! ». La lucidité dont vous faites preuve a été
pour moi un véritable bol d’air pur, après les sentiments mitigés
qui m’avait été inspirés par la lecture du Rapport Glavany.
Son auteur aurait dû lire, entre autres, les Regards sur le monde
de Paul Valery, toujours actuel malgré la date de leur première
parution. On y trouve en quelques lignes, les clefs du « problème
corse », et votre pensée semble de la même veine.
« Une
guerre dont l’issue n’a été due qu’à l’inégalité des puissances
navales des adversaires est une guerre suspendue ». « Une
pratique, si ancienne et si profondément accoutumée soit-elle dans
les esprits, que la plupart ne puissent la considérer différente,
n’a d’autre justification à nous offrir que ses résultats s’il
arrive qu’elle déçoive l’examen que l’intellect lui fait subir. Si
tout va bien, la logique importe peu, la raison et même la
probabilité peuvent être négligées. L’arbre se connaît à ses fruits.
Mais si les fruits sont amers, si une pratique immémoriale n’a cessé
d’être malheureuse ; si les prévisions qu’elle fait sont toujours
déçues, si on la voit recommencer avec une obstination animale les
mêmes entreprises que l’évènement a cent fois condamné, alors il est
permis d’examiner le système conventionnel qui est nécessairement le
lien et l’excitateur de ses actes ». Voilà ce qui devrait
nourrir la réflexion de ceux qui gouvernent la France, et pour le
moment la Corse.
Pour une part,
militant régionaliste puis autonomiste au début des années 1970, je
suis fermement convaincu aujourd’hui du fait que la Corse ne peut
pas voir résoudre ses problèmes, même les plus simples, dans le
cadre de la Constitution française. Celle ci définit un profil de
classe politique, d’administration
et de Banque, dont l’interaction ne peut pas convenir aux besoins de
la Corse, qui sont ceux d’un pays neuf. Pour remplacer la
Rolls-Royce de l’administration française, je ne pense pas qu’une
« 2CV » suffise. Il faudrait plutôt un véhicule tout-terrain.
Je dois à mon
engagement et à de multiples condamnations (Aléria 75,
Bastelica-Fesch 80, Aurélien Garcia 90, coopérative de Bastelica 92)
d’être actuellement incarcéré, chargé de trois « mises en examen »,
et présenté à l’opinion comme l’ennemi public n°1, comme responsable
du meurtre du Préfet Erignac.
Mon expérience
d’éleveur en montagne, de syndicaliste agricole, d’animateur et
d’élu du monde associatif, m’a donné le sentiment exact du
gaspillage d’énergie, de temps et de moyens auquel nous avons
assisté ces 30 dernières années. Je ne sais pas la part du complot
ou de l’impéritie dans tout cela. Ce qui est sûr, c’est que l’état
n’a pas été capable de protéger l’intérêt général du jeu des
différents groupes de pression dont les appétits se drapent dans les
trois couleurs héritées de la Révolution.
Le meurtre du
Préfet Erignac, quels qu’en soient les auteurs, aurait dû permettre
à ce gouvernement, à la faveur du quasi « état de siège » imposé à
la Corse, un traitement global de la situation. Une année s’est
presque écoulée. Force est de constater qu’en dehors de
gesticulations juridico-policières, le problème reste entier. On a
soumis les milieux nationalistes à des rafles policières sans
précédents, quelques personnalités ont été épinglées, mais les
rentes de la situation coloniale sont intactes, et le plus gros
fraudeur aux élections est toujours Ministre de la république. Cela,
l’opinion insulaire commence à le comprendre. Les effets conjugués
de la crise corse, des problèmes économiques et sociaux, la
conscience de plus en plus forte que des solutions existent
ailleurs, mettront tôt ou tard ce gouvernement ou un autre, devant
une aggravation de la situation.
La
colonisation de peuplement n’est même plus une solution, tant la
terre corse agit puissamment sur les colons et façonne leur
comportement. Après l’incendie de la Chambre d’Agriculture de Corse
du sud, j’ai eu l’occasion, il y a une dizaine d’années d’être reçu
à l’Elysée par Edgar Pisani, au moment où P.Joxe pensait avoir la
solution. Je savais que la politique de F.Mitterand, basée sur
l’exploitation des faiblesses humaines, était vouée à l’échec. Je
l’ai dit. Les faits m’ont donné raison.
Cette Médecine
là, après toutes les autres, a échoué. Le mal n’a fait qu’empirer.
Il reste donc logiquement, et vous avez raison, à tenter la
chirurgie. Reste le problème du choix du praticien et de sa méthode.
Je pense qu’il faut donner à votre ouvrage une suite opérationnelle,
et regrouper à cet effet, en Corse, en France, en Europe et
jusqu’aux Amériques, les compétences pour démontrer que
l’Indépendance de la Corse est nécessaire, et ne pourra qu’être
bénéfique à l’ensemble des parties en présence, même si quelques
intérêts particuliers vont en souffrir. L’époque et les grandes
tendances s’y prêtent et le combat d’arrière-garde des fils nantis
des jacobins n’y pourra rien.
Recevez,
Maître, l’expression de mes cordiales salutations et de mes
sentiments corses.
Marcel Lorenzoni
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