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LETTRE A MAITRE FRANC-VALLUET DU 3 NOVEMBRE 1998

couv1.GIF (50991 octets)Je viens de refermer votre livre « Corse. Quel Avenir ? L’Indépendance ! ». La lucidité dont vous faites preuve a été pour moi un véritable  bol d’air pur, après les sentiments mitigés qui m’avait été  inspirés par la lecture du Rapport Glavany. Son auteur aurait dû lire, entre autres, les Regards sur le monde de Paul Valery, toujours actuel malgré la date de leur première parution. On y trouve en quelques lignes, les clefs du « problème corse », et votre pensée semble de la même veine.

 

« Une guerre dont l’issue n’a été due qu’à l’inégalité des puissances navales des adversaires est une guerre suspendue ». « Une pratique, si ancienne et si profondément accoutumée soit-elle dans les esprits, que la plupart ne puissent la considérer différente, n’a d’autre justification à nous offrir que ses résultats s’il arrive qu’elle déçoive l’examen que l’intellect lui fait subir. Si tout va bien, la logique importe peu, la raison et même la probabilité peuvent être négligées. L’arbre se connaît à ses fruits. Mais si les fruits sont amers, si une pratique immémoriale n’a cessé d’être malheureuse ; si les prévisions qu’elle fait sont toujours déçues, si on la voit recommencer avec une obstination animale les mêmes entreprises que l’évènement a cent fois condamné, alors il est permis d’examiner le système conventionnel qui est nécessairement le lien et l’excitateur de ses actes ». Voilà ce qui devrait nourrir la réflexion de ceux qui gouvernent la France, et pour le moment la Corse.

 

Pour une part, militant régionaliste puis autonomiste au début des années 1970, je suis fermement convaincu aujourd’hui du fait que la Corse ne peut pas voir résoudre ses problèmes, même les plus simples, dans le cadre de la Constitution française. Celle ci définit un profil de classe politique, d’administration et de Banque, dont l’interaction ne peut pas convenir aux besoins de la Corse, qui sont ceux d’un pays neuf. Pour remplacer la Rolls-Royce de l’administration française, je ne pense pas qu’une « 2CV » suffise. Il faudrait plutôt un véhicule tout-terrain.

 

Je dois à mon engagement et à de multiples condamnations (Aléria 75, Bastelica-Fesch 80, Aurélien Garcia 90, coopérative de Bastelica 92) d’être actuellement incarcéré, chargé de trois « mises en examen », et présenté à l’opinion comme l’ennemi public n°1, comme responsable du meurtre du Préfet Erignac.

 

Mon expérience d’éleveur en montagne, de syndicaliste agricole, d’animateur et d’élu du monde associatif, m’a donné le sentiment exact du gaspillage d’énergie, de temps et de moyens auquel nous avons assisté ces 30 dernières années. Je ne sais pas la part du complot  ou de l’impéritie dans tout cela. Ce qui est sûr, c’est que l’état n’a pas été capable de protéger l’intérêt général du jeu des différents groupes de pression dont les appétits se drapent dans les trois couleurs héritées de la Révolution.

 

Le meurtre du Préfet Erignac, quels qu’en soient les auteurs, aurait dû permettre à ce gouvernement, à la faveur du quasi « état de siège » imposé à la Corse, un traitement global de la situation. Une année s’est presque écoulée. Force est de constater qu’en dehors de gesticulations juridico-policières, le problème reste entier. On a soumis les milieux nationalistes à des rafles policières sans précédents, quelques personnalités ont été épinglées, mais les rentes de la situation coloniale sont intactes, et le plus gros fraudeur aux élections est toujours Ministre de la république. Cela, l’opinion insulaire commence à le comprendre. Les effets conjugués de la crise corse, des problèmes économiques et sociaux, la conscience de plus en plus forte que des solutions existent ailleurs, mettront tôt ou tard ce gouvernement ou un autre, devant une aggravation de la situation.

 

La colonisation de peuplement n’est même plus une solution, tant la terre corse agit puissamment sur les colons et façonne leur comportement. Après l’incendie de la Chambre d’Agriculture de Corse du sud, j’ai eu l’occasion, il y a une dizaine d’années d’être reçu à l’Elysée par Edgar Pisani, au moment où P.Joxe pensait avoir la solution. Je savais que la politique de F.Mitterand, basée sur l’exploitation des faiblesses humaines, était vouée à l’échec. Je l’ai dit. Les faits m’ont donné raison.

 

Cette Médecine là, après toutes les autres, a échoué. Le mal n’a fait qu’empirer. Il reste donc logiquement, et vous avez raison, à tenter la chirurgie. Reste le problème du choix du praticien et de sa méthode. Je pense qu’il faut donner à votre ouvrage une suite opérationnelle, et regrouper à cet effet, en Corse, en France, en Europe et jusqu’aux Amériques, les compétences pour démontrer que l’Indépendance de la Corse est nécessaire, et ne pourra qu’être bénéfique à l’ensemble des parties en présence, même si quelques intérêts particuliers vont en souffrir. L’époque et les grandes tendances s’y prêtent et le combat d’arrière-garde des fils nantis des jacobins n’y pourra rien.

 

Recevez, Maître, l’expression de mes cordiales salutations et de mes sentiments corses.

Marcel Lorenzoni


 

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