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Lettre du 8 Juin 1998 :  Le meurtre du Préfet de Corse

Le meurtre du Préfet de Corse, Préfet de Corse du sud, Claude Erignac, au soir du vendredi 6 février 1998, en pleine ville d’Ajaccio (Corse du sud) alors qu’il se rendait à pieds et sans escorte, selon son habitude, à une soirée musicale, a fait plus de bruit que la dizaine de milliers d’attentats à l’explosif qui secouent la Corse depuis trente ans. Cet acte, dont les conséquences sont loin d’être tirées, intervient à un moment de l’Histoire récente de l’île où les jeux semblaient faits, à quelques semaines des élections territoriales de mars.

 

Depuis le gouvernement Juppé, le maillage policier était omniprésent, plus coordonné et plus pesant que jamais :

-          Les organisations clandestines, malgré d’épisodiques déclarations de guerre, étaient de fait bel et bien en sommeil, sans doute parcourues en leur sein par les mêmes problèmes que l’ensemble du Mouvement National Corse, après la vague d’assassinats des années 1995/96.

-          Le Milieu, ayant pris le soin de se démarquer largement du monde politique, au moins en apparence, gérait paisiblement ses affaires, au prix de quelques règlements de comptes sur le dos de lampistes.

-          La classe politique et les entrepreneurs lobbystes étaient partout préoccupés, les uns de leur réélection (comme toujours), les autres d’exploiter l’effet d’aubaine des fonds européens, pour continuer à financer une économie toujours chancelante, malgré les mesures du cadre communautaire d’appui, appliquées en vain pour la 10ème année sans résultat.

C’est donc dans un paysage politique somme toute banal et assez morose, on pourrait presque dire ronronnant, qu’éclate ce drame que fut l’assassinat d’un Prefet.

 

Or, ce meurtre, dès le lendemain, est suivi d’un enchaînement d’évènements d’une rare fréquence, d’une rare intensité : Interpellations de potentiels responsables, à grand spectacle, mesures administratives, nominations de fonctionnaires, de magistrats, de commissions d’enquête.

Il se trouve (par hasard ?) que le public, potentiellement concerné ou coupable, a été dans l’ensemble « ciblé » au préalable, environ 5 mois auparavant, par des actions administratives et psychologiques menées, tant par les services de la Préfecture de Police (Note du Commissaire Bougrier) que par rumeur et média interposés (voir par ailleurs la gendarmerie de Pietrosella, groupe Sampieru etc.).

 

D’une part, la première série de mesures concerne des recherches en matière de malversations financières et fiscales éventuelles. Outre Marcel Lorenzoni, sont concernés d’autres syndicalistes agricoles, des particuliers fichés au grand banditisme, des commerces, des entreprises, la CADEC et la CRCA (qui font depuis  l’objet d’enquêtes approfondies, après mise sous tutelle).

D’autre part, autour de la clandestinité politico-militaire, les rumeurs, les communiqués authentifiés ou pas, relayés par les médias, sont orchestrés de telle façon que se retrouve cadré une fois de plus, un groupe dissident de la Cuncolta, animé entre autres par Marcel Lorenzoni, qui se retrouve de cette façon, pour la 2ème fois, concomitamment, dans le rôle d’inspirateur potentiel du meurtre du Prefet de Corse.

Tout se passe comme si on avait « construit » à l’avance les coupables :

-          Car il faut dans cette situation chargée de symbolique, un bouc émissaire, et à défaut de le chercher par la suite, mieux vaut le désigner à l’avance ;

-          Car il faut, à cet acte chargé de signification politique, une explication politique, et où trouver une explication de ce type, sinon chez ceux qui définirent le mieux les bases du pouvoir politique dans la pensée occidentale, c’est à dire Machiavel.

Dans le chapitre VII du Prince, Machiavel expose à l’attention du « Magnifique » Laurent de Médicis, ce que fit César Borgia dans la Pentapole du début du XVIème siècle :

 « Après que le Duc eut occupé la Romagne il trouva qu’elle était commandée par des seigneurs sans grand  pouvoir, qui avait plutôt dépouillé que gouverné leurs sujets, et leurs avaient donné l’occasion de se désunir, non de s’unir, si bien que le pays était plein de larcins, de brigandages et d’abus de toutes sortes ;

 Il pensa qu’il était nécessaire  pour le réduire en paix et à l’obéissance au bras séculier royal de lui donner un bon gouvernement. A quoi il préposa Messire Remy d’Orque, homme cruel et expéditif, auquel il donna pleine puissance. Celui-ci en peu de temps, remit le pays en tranquillité et union, à son très grand honneur. Mais ensuite Borgia, estimant qu’une si excessive autorité n’était plus de saison, et redoutant qu’elle ne devînt odieuse, établit un tribunal civil au milieu de la province avec un sage président et où chaque ville avait son avocat.

 Et, comme il savait bien que les rigueurs passées lui avaient valu quelques inimitiés, pour en purger les esprits de ces peuples et les tenir tout à fait en son amitié, il voulut montrer que, s’il y avait eu quelque cruauté, elle n’était pas venue de sa part, mais de la mauvaise nature du ministre. Prenant là-dessus l’occasion au poil, il le fit un beau matin, à Cesena, mettre en deux morceaux au milieu de la place, avec un billot de bois et un couteau sanglant près de lui. La férocité de ce spectacle fit le peuple demeurer en même temps content et stupide. »

 

Quoi qu’il en soit, il est évident que le Préfet Erignac et ceux qui ont été désignés à l’opinion publique comme les responsables éventuels de sa mort constituent ensemble le bouc émissaire du levitique.

Le sort fait par César Borgia à Rémy d’Orque ressemble curieusement à celui qui a été réservé au(x) préfet(s) de Corse, mort de toute façon pour expier les fautes de la République française, et cela d’où que vienne le meurtre.

A noter également les développements judiciaires, rendus possibles par cette affaire, et la réaction populaire, pour un temps : « de contentement et stupidité ».

Il y a dans tout cela trop de références aux bases de la culture occidentale, trop de cohérence, pour que l’ensemble n’appartienne pas, n’ait pas été orchestrée, par une unique volonté. Le problème est de savoir où en est le siège.

 

Voici ce qui, Mutatis Mutandis, peut expliquer les raisons politiques de la mort dans ces conditions du Préfet Erignac ; Sauf que la Corse n’est pas la Romagne du XVIème siècle ! Le Préfet exécuté, rejoint les coupables potentiels désignés, dans la détermination du bouc émissaire ; Car le bouc émissaire est double ; Selon le Levitique, lors de la fête de l’expiation, le grand prêtre recevait deux boucs offerts par les personnages les plus importants. L’un était immolé, l’autre retrouvait sa Liberté, suivant un tirage au sort, mais une liberté alourdie de toutes les fautes du peuple, chargé de tous les péchés et envoyé dans le désert, terre de relégation pour les ennemis de Dieu. Le bouc sacrifié apporte la purification, l’autre subit l’épreuve du bannissement, de l’éloignement, de la relégation (in Dictionnaire des symboles, J.Chevalier & A.Gheerbrant, Editions Jupiter. R Laffont).

 

L’affaire Erignac nous renvoie donc aux fondements de notre culture biblique d’une part, et à l’une des bases essentielles des sciences politiques occidentales d’autre part. Elle permet, et ce sont des faits, aux services de l’état d’entamer (et d’achever ?) une politique de normalisation sans précédent en Corse, qui n’est, vu sous cet angle, qu’une France modèle réduit.

Pour que cette remise en question soit possible et admise par un corps politique abasourdi, il a fallu la mort d’un Préfet. Tout s’est passé comme si on voulait en faire oublier la conséquence évidente, en désignant à l’avance les auteurs du meurtre, et parmi lesquels Marcel Lorenzoni.

 

Passons-lui la parole. « Voilà comment les choses se sont passées en ce qui me concerne :

Je suis au plan agricole, l’animateur d’un projet innovant en matière d’élevage porcin charcuterie. Sans doute le plus important jamais conçu en Corse dans le domaine de l’élevage, puisqu’il suppose un volume d’investissements simultanés de 100 MFr, avec les moyens et les créations d’activité et d’emploi que cela suppose. A ce titre sans doute, et avec mention d’un dossier annexe que je ne connais pas, je figure sur la liste envoyée par les soins du Prefet de police Bougrier (en date du 17.10.1997) aux services concernés du ministère de l’Intérieur, au rang de personnes ou d’entreprises devant faire l’objet de contrôles fiscaux ou financiers.

J’ai connu cette note par la rumeur, puis rapidement ont été diffusé des photocopies, début décembre 1997. Cette note fait ensuite l’objet d’un article du « Journal de la Corse » qu’on aurait pu intituler « que fait la police ?», avec publication d’une photocopie ou les noms sont barrés de noir. Curieusement. Cet article est repris par l’hebdomadaire « Le Point » qui lui donne les noms, uniquement des responsables agricoles sont cités, dont le mien. De ce côté, me voilà donc catalogué parmi les grands susceptibles de mises en examen pour malversations financières ou fiscales importantes.

Ayant fait l’objet d’enquêtes multiples de la part de la brigade financière de la P.J, et ayant été le seul responsable de coopérative condamné en Corse, pour fautes de gestion, en 1992, je suis tranquille de ce côté là.

Par contre, côté politique, les choses sont moins simples ! Je suis, avec d’autres, en rupture larvée, puis ouverte, de septembre à décembre 1997, avec l’appareil Cuncolta/Corsica Nazione, sur des problèmes d’orientation politique, d’organisation, de fonctionnement etc. Ce qui peut nous placer, dans l’esprit de certains comme candidats éventuels à un « Banco » politico militaire, dans une course supposée au leadership. Or nos préoccupations ne sont que d’ordre théorique, qui le croirait !

C’est alors que survient l’action contre la gendarmerie de Pietrosella. Deux gendarmes avaient été attaqués à leur retour de patrouille nocturne. Après avoir dynamité les locaux, le groupe clandestin auteur de l’attentat, laissa les 2 hommes à une vingtaine de Km, dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements. Un des pistolets fut retrouvé auprès du corps du Préfet. Des objets personnels appartenant aux gendarmes permirent d’authentifier le 1er communiqué de revendication, émanant du FLNC (mouvance Corsica Viva), puis démenti par celui-ci, en même temps que des actions à Vichy et à l’ENA de Strasbourg.

La rumeur, toujours elle, me prête pour différentes raisons la paternité de cet attentat et on dit que le commissaire Marion de la xvième DCPJ, à l’origine de la rumeur, à l’intention de m’interpeller. N’étant concerné en rien, je ne bouge pas en attendant ; Rien ne se passe.

Quelques temps après, un Cunsulta houleuse voit se confirmer, en octobre 1997, la rupture entre Corsica Nazione et les futurs membres du Collectif « Per A Nazione », dont moi. Trois jours après, tombe le communiqué d’un soi-disant groupe Sampieru. Tout y est dit pour qu’on en devine l’auteur, moi-même. Le contenu ne peut venir que du sein même  de A Cuncolta  (composition du logo, préoccupations exposées). Je le déclare lors d’un passage dans les coulisses de FR3, auprès de M. Dilasser, auquel je demande de recueillir mes propos par écrit, ce qu’il fait. Il ressort que ce texte est d’abord parvenu à M. Benhamou de Libération, bien connu pour son travail très particulier du dossier corse.

Pour moi, la manipulation est grossière, je la dénonce. Quelque temps après, le groupe Sampieru annonce sa dissolution, l’irresponsabilité de ses chefs, et annonce des actions graves contre des hauts fonctionnaires (Je ne connaîtrais ce 2ème communiqué que pendant la garde à vue consécutive à mon arrestation. Le logo et la terminologie sont d’ailleurs différents de ceux du 1er.). Les auteurs du 2ème communiqué ne sont peut-être pas ceux du 1er, mais d’autres gens, exploitant une situation qui se crée.

Puis survient le meurtre du Préfet, et son authentification par l’arme prise à la gendarmerie de Pietrosella : la boucle est bouclée. Après l’interpellation prétexte de quelques jeunes maghrébins et les déclarations fracassantes du Secrétaire Général de A Cuncolta désignant des brigadistes nationalistes, je suis du second voyage de suspects. On découvre à Bastelica, dans une maison que je n’habite plus, des explosifs, des artifices, quelques cartouches de pistolet. La maison est ouverte et inoccupée au moment de la perquisition. A mon domicile on saisit des fusils déclarés à mon nom, un gilet pare-balles.

 Ce qui me vaut aujourd’hui 8 juin, 5ème mois de détention préventive, et une grève de la faim de 37 jours pour me faire entendre du juge.

 

Alors, qui a tué le Préfet Eriganc ?

- Des corses ? Je ne le crois pas !

- Les services spéciaux français, ceux du Rainbow warrior, des irlandais de Vincennes, des écoutes de l’Elysée ? Dans le contexte actuel des oppositions, je ne le crois pas ! (Sans appréciation quant à l’efficacité potentielle de leurs agents).

Et si, en atteignant l’état en Corse, zone sensible s’il en est, aux portes de l’Hexagone,  on avait voulu l’obliger à se remettre sérieusement en question ?

Hôpital de Fresnes. Juin 1998

Marcel Lorenzoni


 

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