Le meurtre du
Préfet de Corse, Préfet de Corse du sud, Claude Erignac, au soir du
vendredi 6 février 1998, en pleine ville d’Ajaccio (Corse du sud)
alors qu’il se rendait à pieds et sans escorte, selon son habitude,
à une soirée musicale, a fait plus de bruit que la dizaine de
milliers d’attentats à l’explosif qui secouent la Corse depuis
trente ans. Cet acte, dont les conséquences sont loin d’être tirées,
intervient à un moment de l’Histoire récente de l’île où les jeux
semblaient faits, à quelques semaines des élections territoriales de
mars.
Depuis le gouvernement Juppé, le maillage policier était
omniprésent, plus coordonné et plus pesant que jamais :
-
Les organisations
clandestines, malgré d’épisodiques déclarations de guerre, étaient
de fait bel et bien en sommeil, sans doute parcourues en leur sein
par les mêmes problèmes que l’ensemble du Mouvement National Corse,
après la vague d’assassinats des années 1995/96.
-
Le Milieu, ayant pris
le soin de se démarquer largement du monde politique, au moins en
apparence, gérait paisiblement ses affaires, au prix de quelques
règlements de comptes sur le dos de lampistes.
-
La classe politique et
les entrepreneurs lobbystes étaient partout préoccupés, les uns de
leur réélection (comme toujours), les autres d’exploiter l’effet
d’aubaine des fonds européens, pour continuer à financer une
économie toujours chancelante, malgré les mesures du cadre
communautaire d’appui, appliquées en vain pour la 10ème
année sans résultat.
C’est donc dans un paysage politique somme toute banal et assez
morose, on pourrait presque dire ronronnant, qu’éclate ce drame que
fut l’assassinat d’un Prefet.
Or,
ce meurtre, dès le lendemain, est suivi d’un enchaînement
d’évènements d’une rare fréquence, d’une rare intensité :
Interpellations de potentiels responsables, à grand
spectacle, mesures administratives, nominations de fonctionnaires,
de magistrats, de commissions d’enquête.
Il
se trouve (par hasard ?) que le public, potentiellement
concerné ou coupable, a été dans l’ensemble « ciblé » au
préalable, environ 5 mois auparavant, par des actions
administratives et psychologiques menées, tant par les services de
la Préfecture de Police (Note du Commissaire Bougrier) que par
rumeur et média interposés (voir par ailleurs la
gendarmerie de Pietrosella, groupe Sampieru etc.).
D’une part, la
première série de mesures concerne des recherches en matière de
malversations financières et fiscales éventuelles. Outre Marcel
Lorenzoni, sont concernés d’autres syndicalistes agricoles, des
particuliers fichés au grand banditisme, des commerces, des
entreprises, la CADEC et la CRCA (qui font depuis l’objet
d’enquêtes approfondies, après mise sous tutelle).
D’autre part, autour de la clandestinité politico-militaire, les
rumeurs, les communiqués authentifiés ou pas, relayés par les
médias, sont orchestrés de telle façon que se retrouve cadré une
fois de plus, un groupe dissident de la Cuncolta, animé entre autres
par Marcel Lorenzoni, qui se retrouve de cette façon, pour la 2ème
fois, concomitamment, dans le rôle d’inspirateur potentiel du
meurtre du Prefet de Corse.
Tout se passe comme si on avait « construit » à l’avance les
coupables :
-
Car il faut dans cette
situation chargée de symbolique, un bouc émissaire, et à défaut de
le chercher par la suite, mieux vaut le désigner à l’avance ;
-
Car il faut, à cet acte
chargé de signification politique, une explication politique, et où
trouver une explication de ce type, sinon chez ceux qui définirent
le mieux les bases du pouvoir politique dans la pensée occidentale,
c’est à dire Machiavel.
Dans
le chapitre VII du Prince, Machiavel expose à l’attention du
« Magnifique » Laurent de Médicis, ce que fit César Borgia dans la
Pentapole du début du XVIème siècle :
« Après que le Duc eut occupé la Romagne il trouva qu’elle était
commandée par des seigneurs sans grand pouvoir, qui avait plutôt
dépouillé que gouverné leurs sujets, et leurs avaient donné
l’occasion de se désunir, non de s’unir, si bien que le pays était
plein de larcins, de brigandages et d’abus de toutes sortes ;
Il pensa qu’il était nécessaire pour le réduire en paix et à
l’obéissance au bras séculier royal de lui donner un bon
gouvernement. A quoi il préposa Messire Remy d’Orque, homme cruel et
expéditif, auquel il donna pleine puissance. Celui-ci en peu de
temps, remit le pays en tranquillité et union, à son très grand
honneur. Mais ensuite Borgia, estimant qu’une si excessive autorité
n’était plus de saison, et redoutant qu’elle ne devînt odieuse,
établit un tribunal civil au milieu de la province avec un sage
président et où chaque ville avait son avocat.
Et, comme il savait bien que les rigueurs passées lui avaient valu
quelques inimitiés, pour en purger les esprits de ces peuples et les
tenir tout à fait en son amitié, il voulut montrer que, s’il y avait
eu quelque cruauté, elle n’était pas venue de sa part, mais de la
mauvaise nature du ministre. Prenant là-dessus l’occasion au poil,
il le fit un beau matin, à Cesena, mettre en deux morceaux au milieu
de la place, avec un billot de bois et un couteau sanglant près de
lui. La férocité de ce spectacle fit le peuple demeurer en même
temps content et stupide. »
Quoi qu’il en
soit, il est évident que le Préfet Erignac et ceux qui ont été
désignés à l’opinion publique comme les responsables éventuels de sa
mort constituent ensemble le bouc émissaire du levitique.
Le
sort fait par César Borgia à Rémy d’Orque ressemble curieusement à
celui qui a été réservé au(x) préfet(s) de Corse, mort de toute
façon pour expier les fautes de la République française, et cela
d’où que vienne le meurtre.
A
noter également les développements judiciaires, rendus possibles par
cette affaire, et la réaction populaire, pour un temps : « de
contentement et stupidité ».
Il y
a dans tout cela trop de références aux bases de la culture
occidentale, trop de cohérence, pour que l’ensemble n’appartienne
pas, n’ait pas été orchestrée, par une unique volonté. Le problème
est de savoir où en est le siège.
Voici ce qui, Mutatis Mutandis, peut expliquer les raisons
politiques de la mort dans ces conditions du Préfet Erignac ;
Sauf que la Corse n’est pas la Romagne du XVIème siècle !
Le Préfet exécuté, rejoint les coupables potentiels désignés, dans
la détermination du bouc émissaire ; Car le bouc émissaire
est double ; Selon le Levitique, lors de la fête de l’expiation,
le grand prêtre recevait deux boucs offerts par les personnages les
plus importants. L’un était immolé, l’autre retrouvait sa Liberté,
suivant un tirage au sort, mais une liberté alourdie de toutes les
fautes du peuple, chargé de tous les péchés et envoyé dans le
désert, terre de relégation pour les ennemis de Dieu. Le bouc
sacrifié apporte la purification, l’autre subit l’épreuve du
bannissement, de l’éloignement, de la
relégation (in Dictionnaire des symboles, J.Chevalier & A.Gheerbrant,
Editions Jupiter. R Laffont).
L’affaire Erignac nous renvoie donc aux fondements de notre culture
biblique d’une part, et à l’une des bases essentielles des sciences
politiques occidentales d’autre part. Elle permet, et ce sont des
faits, aux services de l’état d’entamer (et d’achever ?) une
politique de normalisation sans précédent en Corse, qui n’est, vu
sous cet angle, qu’une France modèle réduit.
Pour
que cette remise en question soit possible et admise par un corps
politique abasourdi, il a fallu la mort d’un Préfet. Tout s’est
passé comme si on voulait en faire oublier la conséquence évidente,
en désignant à l’avance les auteurs du meurtre, et parmi lesquels
Marcel Lorenzoni.
Passons-lui la parole. « Voilà comment les choses se sont passées en
ce qui me concerne :
Je
suis au plan agricole, l’animateur d’un projet innovant en matière
d’élevage porcin charcuterie. Sans doute le plus important jamais
conçu en Corse dans le domaine de l’élevage, puisqu’il suppose un
volume d’investissements simultanés de 100 MFr, avec les moyens et
les créations d’activité et d’emploi que cela suppose. A ce titre
sans doute, et avec mention d’un dossier annexe que je ne connais
pas, je figure sur la liste envoyée par les soins du Prefet de
police Bougrier (en date du 17.10.1997) aux services concernés du
ministère de l’Intérieur, au rang de personnes ou d’entreprises
devant faire l’objet de contrôles fiscaux ou financiers.
J’ai
connu cette note par la rumeur, puis rapidement ont été diffusé des
photocopies, début décembre 1997. Cette note fait ensuite l’objet
d’un article du « Journal de la Corse » qu’on aurait pu
intituler « que fait la police ?», avec publication d’une
photocopie ou les noms sont barrés de noir. Curieusement. Cet
article est repris par l’hebdomadaire « Le Point » qui lui
donne les noms, uniquement des responsables agricoles sont cités,
dont le mien. De ce côté, me voilà donc catalogué parmi les grands
susceptibles de mises en examen pour malversations financières ou
fiscales importantes.
Ayant fait l’objet d’enquêtes multiples de la part de la brigade
financière de la P.J, et ayant été le seul responsable de
coopérative condamné en Corse, pour fautes de gestion, en 1992, je
suis tranquille de ce côté là.
Par
contre, côté politique, les choses sont moins simples ! Je suis,
avec d’autres, en rupture larvée, puis ouverte, de septembre à
décembre 1997, avec l’appareil Cuncolta/Corsica Nazione, sur des
problèmes d’orientation politique, d’organisation, de fonctionnement
etc. Ce qui peut nous placer, dans l’esprit de certains comme
candidats éventuels à un « Banco » politico militaire, dans
une course supposée au leadership. Or nos préoccupations ne sont que
d’ordre théorique, qui le croirait !
C’est alors que survient l’action contre la gendarmerie de
Pietrosella. Deux gendarmes avaient été attaqués à leur retour de
patrouille nocturne. Après avoir dynamité les locaux, le groupe
clandestin auteur de l’attentat, laissa les 2 hommes à une vingtaine
de Km, dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements. Un des
pistolets fut retrouvé auprès du corps du Préfet. Des objets
personnels appartenant aux gendarmes permirent d’authentifier le 1er
communiqué de revendication, émanant du FLNC (mouvance Corsica Viva),
puis démenti par celui-ci, en même temps que des actions à Vichy et
à l’ENA de Strasbourg.
La
rumeur, toujours elle, me prête pour différentes raisons la
paternité de cet attentat et on dit que le commissaire Marion de la
xvième
DCPJ, à l’origine de la rumeur, à l’intention de m’interpeller.
N’étant concerné en rien, je ne bouge pas en attendant ; Rien ne se
passe.
Quelques temps après, un Cunsulta houleuse voit se confirmer, en
octobre 1997, la rupture entre Corsica Nazione et les futurs membres
du Collectif « Per A Nazione », dont moi. Trois jours après, tombe
le communiqué d’un soi-disant groupe Sampieru. Tout y est dit pour
qu’on en devine l’auteur, moi-même. Le contenu ne peut venir que du
sein même de A Cuncolta (composition du logo, préoccupations
exposées). Je le déclare lors d’un passage dans les coulisses de
FR3, auprès de M. Dilasser, auquel je demande de recueillir mes
propos par écrit, ce qu’il fait. Il ressort que ce texte est d’abord
parvenu à M. Benhamou de Libération, bien connu pour son
travail très particulier du dossier corse.
Pour
moi, la manipulation est grossière, je la dénonce. Quelque temps
après, le groupe Sampieru annonce sa dissolution,
l’irresponsabilité de ses chefs, et annonce des actions graves
contre des hauts fonctionnaires (Je ne connaîtrais ce 2ème
communiqué que pendant la garde à vue consécutive à mon arrestation.
Le logo et la terminologie sont d’ailleurs différents de ceux du 1er.).
Les auteurs du 2ème communiqué ne sont peut-être pas ceux
du 1er, mais d’autres gens, exploitant une situation qui
se crée.
Puis
survient le meurtre du Préfet, et son authentification par l’arme
prise à la gendarmerie de Pietrosella : la boucle est bouclée. Après
l’interpellation prétexte de quelques jeunes maghrébins et les
déclarations fracassantes du Secrétaire Général de A Cuncolta
désignant des brigadistes nationalistes, je suis du second
voyage de suspects. On découvre à Bastelica, dans une maison que je
n’habite plus, des explosifs, des artifices, quelques cartouches de
pistolet. La maison est ouverte et inoccupée au moment de la
perquisition. A mon domicile on saisit des fusils déclarés à mon
nom, un gilet pare-balles.
Ce
qui me vaut aujourd’hui 8 juin, 5ème mois de détention préventive,
et une grève de la faim de 37 jours pour me faire entendre du juge.
Alors, qui a tué le Préfet Eriganc ?
-
Des corses ? Je ne le crois pas !
-
Les services spéciaux français, ceux du Rainbow warrior, des
irlandais de Vincennes, des écoutes de l’Elysée ? Dans
le contexte actuel des oppositions, je ne le crois pas ! (Sans
appréciation quant à l’efficacité potentielle de leurs agents).
Et si, en atteignant l’état en Corse, zone sensible s’il en est, aux
portes de l’Hexagone, on
avait voulu l’obliger à se remettre sérieusement en question ?
Hôpital de Fresnes. Juin 1998
Marcel Lorenzoni
Source photo :
Unità Naziunale, Archives du site.
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