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MARCEL LORENZONI : MONSIEUR LE JUGE DU 31 MAI 1998

J’éprouve le besoin de vous écrire pour revenir sur notre entrevue.

Vous m’avez dit plusieurs  fois que je vous faisais peur. Je n’ai pas compris pourquoi. Vous m’avez affirmé avoir de moi une impression intuitive très différente de ce qui ressortait de toutes les autres sources d’informations réunies jusque là. Je ne sais pas quelles en sont les conclusions que vous en tirez.

 

Je trouve ce fait très significatif de la façon dont le problème corse a été traité jusqu’ici. Au lieu de lui appliquer la stricte répression policière et judiciaire, la gloire de la France aurait gagné à ce qu’on traite les évènements dans notre pays par l’intelligence, l’évaluation exacte de leur signification politique, économique sociale et culturelle. La Corse et la France y auraient gagné du temps et de l’énergie.

L’action conjuguée des ministères de l’intérieur et de la justice était sans doute, les faits le prouvent, le plus maux choix en la matière, étant tous deux des structures d’exécution pure et simple, et n’agissant que trop tard en matière de connaissance.

 

Un travail coordonné de chercheurs, de spécialistes des îles, de l’agriculture et de l’élevage, du tourisme, des institutions, sous l’égide du ministère des affaires étrangères aurait été sans aucun doute pour moi plus fructueux. Pourquoi les affaires étrangères ? Parce que nous vivons dans un autre monde que le vôtre. La couleur de notre peau et votre religion chrétienne apparente, brouillent les pistes, alors que nos structures mentales sont plus orientales qu’occidentales, et nos structures sociales plus africaines qu’européennes. Songez aux facultés des Corses à s’adapter en Extrême-Orient et en Afrique, et au parti que la France a pu en tirer.

 

Sur un autre plan, vous invoquez le contexte géopolitique actuel pour expliquer le blocage de la situation corse. Je crois que c’est là exagérer nos dimensions. En outre, je ne vois pas où est l’intérêt du bloc occidental à conserver, sur son glacis méditerranéen, un abcès politique, si petit soit-il, dans une île qui bien souvent a été point d’appui d’opérations continentales d’envergure, tant militaires que politiques.

 

Au contraire, une Corse restaurée dans son identité politique, économique et culturelle serait un lieu très favorable aux contacts entre blocs limitrophes, autant qu’un point d’appui stratégique fort, analogue à la Suisse, à quelques heures d’avion du Centre Afrique et du Moyen-Orient.

Rien de bien nouveau dans ce que je vous dis, sauf que la synthèse n’en a encore pas été faite, et que la France patauge encore lamentablement, sous le regard critique de ses partenaires. Et ce n’est pas près de finir, tant la Corse, typée par la géographie et par l’Histoire, fabrique des corses, avec tous ceux qui choisissent d’y vivre.

 

Pour en revenir aux affaires qui me concernent, ainsi que ma compagne et mon frère, mes avocats ont pu me dire de quoi il retournait. Je ne vois pas comment Fabienne Maestracci peut être concernée par ce que l’on a trouvé sur le disque dur de son ordinateur portable.

Il est indéniable que nous vivions au sein de la mouvance Canal Historique. L’ordinateur était entreposé dans le bureau d’un commerce où Fabienne n’était pas en permanence, car elle assurait aussi bien la gestion que la commercialisation extérieure de ses produits, et quelqu’un peut bien avoir emprunté cet appareil, relativement rare en Corse, à l’époque où les faits se seraient produits, et cela à l’insu de sa propriétaire qui n’en faisait pas un usage quotidien.

 

Quant à ce que la police a trouvé chez mon frère Laurent-Maurice, il y a sur Internet et dans les librairies aujourd’hui, des choses autrement plus subversives et dangereuses, à la portée d’adolescents.

Le fait que nous ayons reçu tous les deux une formation militaire ne veut rien dire en Corse. Vous seriez sans doute surpris de connaître le nombre d’anciens officiers et sous-officiers des troupes d’élite de l’armée française, qui sont aujourd’hui proches du mouvement national corse.

 

Ces observations n’ont d’autre prétention que de vous aider à former votre conviction sur un vaste problème, et sur l’affaire qui m’intéresse plus précisément. Je ne sais pas si je pourrai me déplacer lors d’une prochaine audition. Mes forces se mettent à décliner sérieusement. Ma détermination, elle, est intacte.

 

Recevez l’expression de mes sentiments corses, à bientôt peut-être.

 

M.Lorenzoni, à Fresnes le 31 mai 1998


 

Source photo : Unità Naziunale, Archives du site.
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