HERNANI
L'avocate de Torturaren Aurkako Taldea (TAT), Izaskun
González, a rendu visite mercredi à Soto del Real à Sebas
Bédouret, arrêté par la Guardia civil à Hernani le 6
décembre alors qu'il se rendait, avec le reste des membres
d'une délégation internationale, à l'acte que le mouvement
pro-amnistie entendait célébrer au Vélodrome d'Anoeta. Le
journaliste français a été arrêté sous l'accusation de
posséder un exemplaire de "Zutabe" et, après avoir comparu
devant l'Audience nationale deux jours plus tard, il a été
incarcéré à la prison madrilène pour "collaboration avec
bande armée".
Bédouret, qui a tout de suite dénoncé devant le juge Ismael
Moreno avoir été torturé, a raconté à González ce qu'il a
vécu pendant la période d'incommunication : d'abord dans la
caserne d'Intxaurrondo puis dans les dépendances de Madrid.
Selon ce qu'il a expliqué, dans chaque lieu il a été obligé
d'apprendre une déposition.
Dans les installations du quartier donostiarra, ils lui ont
demandé, toujours selon le témoignage diffusé par TAT, "si
je savais qui m'avais arrêté. (.... Je leur ai dit 'la
police' et il m'ont répondu : 'Tu es à Intxaurrondo. Tu
connais l'histoire de ce lieu? Tu as la possibilité de lire
beaucoup de témoignages, mais quand tu sortiras d'ici tu
auras l'occasion d'écrire ton propre témoignage'".
Le journaliste a dénoncé le fait que les interrogatoires
dans cette caserne se sont caractérisés par "d'incessantes
questions. Ils me les formulaient très rapidement, et quand
mes réponses n'étaient pas aussi rapides qu'ils le
voulaient, ils me frappaient derrière la tête. (...) Cela
s'est répété plusieurs fois : ils s'en allaient, et après un
moment ils revenaient. Questions et coups".
Après avoir signé la déposition que lui ont présentée les
gardes en présence d'un avocat commis d'office, "que je n'ai
pas pu voir parce qu'il était derrière moi", et d'un
traducteur, ils l'ont mis dans une voiture. Il a passé le
voyage jusqu'à Madrid avec un masque qui lui couvrait les
yeux, la tête entre les jambes et avec deux agents appuyés
sur son dos.
Son épouse
et "lui faire porter le chapeau"
A la fin du trajet, il ne savait pas qu'il se trouvait dans
des dépendances policières: "J'avais l'impression qu'on
était dans un endroit abandonné. (...) Je me sentais
totalement isolé du monde, seul". Et dans les dépôts de la
capitale espagnole les scènes d'Intxaurrondo se sont
répétées : "Chaque fois qu'ils allaient entrer, ils
m'obligeaient à me mettre debout, dos à la porte, avec la
tête baissée et les yeux fermés. (...) Ils ont recommencé
avec les questions et les coups. Ils m'ont obligé à faire
des flexions; pendant ce temps, ils continuaient avec les
questions. Il y avait tout en même temps, les questions, les
coups... J'ai fini par m'évanouir. Je suis tombé par terre,
mais ils m'ont relevé et m'ont obligé à continuer".
"L'un d'eux a posé sa main sur mes parties génitales et m'a
demandé comment se disait 'homosexuel' en français. Je lui
ai répondu, et j'ai entendu plein de rires derrière (...)",
poursuit le témoignage de Bédouret, qui explique qu'à un
moment donné ils ont commencé à le menacer avec son épouse,
enceinte de huit mois. "Ils me disaient que quand elle avait
su qu'ils m'avaient arrêté elle était venue à Madrid
(...) et qu'ils l'avaient arrêtée. Il me disaient qu'ils
allaient lui faire la même chose qu'à moi voire plus. (...)
Ils me donnaient beaucoup de détails, et je les croyais".
"L'un d'eux m'a dit que la prochaine fois qu'il me verrait à
Lizartza il me tuerait. J'y suis allé une seule fois. Ils
sont même allés jusqu'à me menacer avec Barajas, qu'il
fallait bien que quelqu'un porte le chapeau", ajoute-t-il.
Le journaliste souligne que, après avoir appris la seconde
déposition, ils lui ont dit qu'ils allaient lui appliquer
"la bolsa"(2) et que "comme les cinq jours n'étaient pas
passés, ils pouvaient me garder là, qu'après ma déclaration
devant le juge j'allais revenir. Il m'ont demandé si je
connaissais Unai Romano(3)... Dès qu'ils m'ont présenté au
juge, la première chose que je lui ai demandé a été si ils
pouvaient me remettre entre les mains des gardes civils".
Pendant ces 48 heures, ils l'ont empêché de dormir, ce qui
fait qu'il était "complètement désorienté", et il a très peu
mangé et bu. "La première nuit à Soto del Real, je n'ai pas
pu dormir. Je me suis réveillé en panique, avec la sensation
d'être encore dans les dépendances de la Guardia civil",
finit-il.
"Il faut
épurer le système et rompre cette équation"
HERNANI
Après qu'Izaskun González ait fait remarquer que le
témoignage de Bédouret est très similaire à ceux recueillis
ces derniers temps par TAT, Martxelo Otamendi a pris la
parole pour affirmer que "cela lui rappelle notre cas".
Otamendi, poursuivi dans le "cas Egunkaria", a fait remarqué
que les cas de mauvais traitements et de tortures se
produisent "parce que l'incommunication est maintenue, ainsi
qu'un tribunal comme l'Audience nationales et les forces de
police antidémocratiques. Tout cela constitue une machine à
part entière, toute une séquence planifiée d'avance". Dans
cette ligne, il a plaidé pour "l'épuration du système et la
rupture avec l'équation 'incommunication plus Audience
nationale égal torture'". Il a aussi rappelé l'Assemblée
nationale des torturés réunie le 16 décembre à Elorrio, "au
cours de laquelle nous nous sommes fermement engagés à
lutter contre cette pratique".
Nekane Txapartegi, poursuivie dans le dossier 18/98, a exigé
des représentants politiques et institutionnels qu'ils
"passent des paroles aux actes" et qu'ils exigent des
enquêtes réelles, qu'ils offrent un appui, qu'ils
recherchent des responsabilités... Elle a souligné la
nécessité de "briser la machine qui rend possible la
torture" et de "reconnaître publiquement son existence".
Source : Gara, 19 janvier 2007
(1) TAT : Torturaren Aurkako Taldea ("Groupe contre la
torture") -
http://www.stoptortura.com/index.php?newlang=fra
(2) "la bolsa" : torture consistant à appliquer un sac en
plastique sur la tête pour entraîner l'asphyxie.
(3) Unai Romano : son témoignage de torture est
téléchargeable à l'adresse (bas de page) :
http://www.behatokia.info/infos.php