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Interview du FLNC DU 22
publication mensuel Corsica Novembre 2006

Le FLNC du 22 octobre s'explique
 

 

Dans un entretien exclusif, les clandestins reviennent sur l'attentat qui a coûté la vie à deux de leurs militants en août dernier à Corte.
 

 
 

-L'attentat de Corte [le 17 août dernier, une tentative d'attentat perpétrée contre des hélicoptères bombardiers d'eau, à Corte, a coûté la vie à deux militants nationalistes, en blessant grièvement un troisième, ndlr] contre une société d'hélicoptères continentale aurait-il été revendiqué s'il avait réussi ?
Oui, évidemment. Nous avons choisi comme constante depuis 4 ans de revendiquer toutes nos actions qu'elles qu'en soient les conséquences. La principale raison étant que l'action clandestine est pour nous un acte politique fort qu'il est hors de question de banaliser. Nos actions s'inscrivent toutes dans une stratégie de lutte contre la disparition programmée du peuple corse, chacune d'elles étant un acte politique s'inscrivant dans une résistance collective. L'attentat contre la société d'hélicoptères Yankee Lima illustre particulièrement notre volonté de résistance à l'assujettissement de notre peuple au pouvoir marchand et au diktat du marché et de la finance mondiale.

Même s'il s'agit d'une société continentale, l'objectif vous paraissait-il vraiment clair ?
Oui. Car l'attribution selon la loi libérale simpliste du moins disant au détriment de sociétés corses hautement qualifiées et de surcroît « mieux disantes », est allé cette fois jusqu'à remettre en cause la sécurité des hommes (Y. LIMA n'avait pas les accréditations pour le transport de personnes mais ne se privait pas de le faire). La cible et la période de l'action ont été motivées pour que le message aux sociétés étrangères souhaitant spéculer sur les marchés corses moyennant quelques subsides à des décideurs véreux soit adressé de manière retentissante. La société Y.L, dont le siège social est une simple boîte aux lettres, a emporté ce marché pour 7000 euros d'écart avec des compétences nettement inférieures. Au prix de quelles magouilles ... ?
L'objectif était donc clair : résistance aux injustices sociales et à la loi du marché jugulant l'économie corse.

Pourquoi les corps sont-ils restés si longtemps sans être récupérés par les pompiers, les forces de police ou même des proches ?
Pour des raisons évidentes de sécurité, nous ne pouvons vous donner toutes les informations attendues sur l'organisation de cette opération ou sur notre structuration en général. Toutefois, nous précisons que le cloisonnement du commando a conduit à ce que l'information du décès nous ait été donnée avec retard. Informés de leur absence et sans arrestation ni attentat signalés, nous les avons cru en fuite. Le chef du commando (seul habilité à prendre contact avec la structure) ne pouvait, et pour cause, nous contacter car il était mort sur le site de l'opération.

Après celle d'Alexandre Vincenti à Aix-en-Provence [tué accidentellement dans l'explosion de sa propre bombe le 23 janvier dernier, ndlr], cette affaire n'indique-t-elle pas que vous faites prendre d'énormes risques à certains de vos militants ? Ou alors, pourquoi ce type de bavures dramatiques peuvent-elles se produire ?
Chaque militant, chacun d'entre nous prend des risques assumés collectivement : nous sommes tous des combattants égaux et déterminés dans une lutte inégale au cours de laquelle nous veillons à la protection de la population et bien que nous soyons tous des militants aguerris à la manipulation des explosifs, les risques sont très présents. Les morts d'Antone, Stefanu et Lisandru sont, non pas des « bavures » mais les conséquences dramatiques de leur abnégation dans l'engagement.

-Ne pensez-vous pas qu'un jour ou l'autre ce type d'accidents sanglants puisse toucher des tiers ?
Nous répétons que nous sommes soucieux dans nos actions de la protection de la population. C'est une constante de la lutte du peuple corse que nul ne peut contester.

D'où vient le sentiment, partagé par beaucoup, en dehors même des explications policières, que cette affaire était « louche » ?
« Affaire louche »... Vous voulez dire que certains, myopes intellectuellement, ont perçu la programmation de l'attentat au service d'intérêts particuliers et non au service de la communauté. Cela montre que l'idéologie ultralibérale imprègne les esprits au point que tout acte dans le secteur économique soit évalué en fonction de sa productivité et des intérêts personnels. Une action touchant à l'économique pourrait être difficilement comprise d'emblée comme étant au service du bien commun. Mais, en l'occurrence, l'attribution du marché des bombardiers d'eau à l'entreprise française Y.L. montre bien l'aliénation au niveau économique du peuple corse par le système libéral. Une action protectionniste en faveur de la Corse s'imposait contre l'application de ces principes libéraux.

Ne pensez-vous pas que tout cela accroît un sentiment de confusion dans la population et même chez les nationalistes ? Avec la conséquence que tout attentat, quelle que soit sa « justesse » prétendue, est de moins en moins lisible ?
La propagande des services de l'Etat tente systématiquement de troubler notre message. La confusion, dans la lisibilité de nos attentats ne peut pourtant exister que chez ceux qui ne se réfèrent pas à l'éthique de notre peuple et ne remettent pas en question les normes et les modèles imposés par l'Etat français et les instances néolibérales européennes. La grille de lecture de nos attentats est dans nos repères culturels, la justice sociale, la liberté de notre peuple.

Pourquoi est-il, selon vous, encore utile de commettre des attentats ? Ne s'agit-il pas simplement d'un activisme désespéré ?
Pour nous aujourd'hui, la clandestinité, en marge des lois et normes officielles, des raisons d'Etat et de la raison économique, est un moyen de sauvegarde qui permet de survivre aux aliénations politiques, juridiques, socioéconomiques du colonialisme dans sa version mondialisée. Vous parlez d'activisme désespéré mais c'est l'espoir, plus encore la certitude de la victoire qui nous fait combattre. Nous sommes des combattants de la lutte de libération nationale corse et nous constatons l'efficacité de nos actions : malgré la programmation de sa mort, notre peuple vit. Et il survivra libre. Nos attentats sont une résistance active aux multiples attaques subies par notre peuple et un moyen d'inscrire notre culture dans le monde. Ils servent de levier au peuple corse pour faire advenir la nation corse.

-La multiplication des attentats n'est-elle pas le signe d'un déficit des mouvements nationalistes publics ? D'une absence de mobilisation, voire de résistance populaire face aux projets jugés anti-corses ?
Il n'y a pas de multiplication des attentats. Ils existent depuis trente ans et ils se poursuivront jusqu'à l'avènement de la nation corse. Nous ne nous inscrivons pas en rupture avec les mouvements publics, nous sommes nous-mêmes un mouvement politique de résistance populaire. Nous prônons le pluralisme : les mouvements publics (politiques, associatifs, syndicaux) ont toute leur place dans la lutte nationale. Il faudrait, nous pensons, qu'ils s'emploient davantage à l'essor de notre peuple sans compromission, défaitisme ni faux-semblant. Nous concevons la lutte dans la complémentarité et l'horizontalité de l'ensemble de ses composantes et moyens, tant publics que clandestins.
Certains misent sur de nouveaux pouvoirs dans l'Etat français et les instances européennes et tentent de s'y installer confortablement pour jouer ultérieurement le rôle de tampon et d'interlocuteur privilégié de la Corse. Tout cela malgré une volonté rédhibitoire de l'Etat français dans son refus de reconnaissance du peuple corse. Souhaitons qu'ils prennent conscience que la France et ses clans en Corse restent des adversaires déclarés de la nation corse avec qui il est inutile de chercher à négocier. Il faut impulser un rapport de force avec toutes les composantes de la résistance populaire, qu'elle soit publique ou clandestine, afin d'accéder à une émancipation réelle et durable.

Quels projets et quelle stratégie avez-vous maintenant ? Sur quel terrain prioritaire doit-elle s'exercer ?
Nos moyens resteront des moyens de dissuasion et de conscientisation politique des dangers encourus et des assujettissements par notre peuple.
Notre stratégie est une stratégie de lutte pour la survie du peuple corse et l'institution de la nation corse.
Elle est un processus à la fois de décolonisation et de développement de la Corse soucieux d'établir la justice sociale.
Un constat politique et socioéconomique est aujourd'hui incontournable : le contexte international avec la libre circulation des capitaux, le diktat de l'économie de marché et la libre concurrence : la gouvernance néolibérale de l'Union européenne ; la concentration des pouvoirs d'encadrement de l'Etat français pour satisfaire l'impératif d'harmonisation de l'Union européenne ; la conception française de la république refusant la différence culturelle et niant l'existence du peuple corse ; les possibilités non exploitées de résistance données à la CTC depuis la loi de décentralisation de 2003.
Ce constat nous a conduit à développer notre stratégie en quatre axes :
- La poursuite de la sauvegarde de la terre corse en tant que patrimoine naturel et culturel dont nous avons hérité. Nous lutterons contre toutes les pollutions et les logiques d'accaparement de notre terre à des fins spéculatives ne profitant en rien au peuple corse et le soumettant à la simpliste et inique loi du marché.
- Deuxième axe, la promotion d'un véritable plan d'aménagement du sol et de développement durable maîtrisé par le peuple corse avec production de richesses. Pour l'agriculture et la pêche nous favoriserons les produits identitaires à forte valeur ajoutée, ceux alimentant une industrie agroalimentaire locale, ceux centrés sur le marché corse pouvant se substituer aux importations. Nous serons attentifs aux circuits de distribution. La forêt, poumon écologique à préserver des incendies peut être à l'origine d'une petite industrie durable. Le secteur secondaire doit s'orienter vers des industries légères, prioritairement axées sur le marché intérieur et méditerranéen. Nous favoriserons les politiques débouchant sur l'indépendance énergétique de la Corse et condamnons le servile branchement Sardaigne-Corse. Dans le tertiaire, si l'apport de la richesse touristique par la mondialisation peut être un atout pour la Corse, il faut engager une politique de tourisme intégré à l'ensemble du développement avec complémentarité des différents secteurs d'activité. Ceci implique le respect des capacités de charges dans l'espace, des terres agricoles, de la loi littoral. Nous ferons barrage à l'implantation spéculative des sociétés extra-insulaires favorisant un tourisme de masse « déculturant » et une évasion des capitaux hors de Corse. Enfin, nous observons les institutions financières dont le rôle est essentiel comme moteur d'un développement productif et comme frein à la spoliation des moyens corses de transport et d'échanges.
- Troisième axe : une répartition juste des richesses produites en évitant les déséquilibres territoriaux, les déséquilibres sociaux avec notamment la création d'une nouvelle classe coloniale « cumpratore », les monopoles, les corruptions, prévarications et divers népotismes clanistes.
- Quatrième axe : la sauvegarde des repères collectifs (culturels, linguistiques, historiques, patrimoniaux). Ils permettent à notre peuple de vivre, prospérer et reproduire ses principes. Pour cela, nous combattrons un déséquilibre démographique par colonisation de peuplement génératrice d'acculturation, nous défendrons les droits linguistiques et culturels des Corses contre l'Etat français ; c'est lui qui bloque au conseil de l'Europe les définitions des critères européens pour l'élaboration des droits des minorités et ne ratifie pas la charte des langues minoritaires.

N'est-il pas trop tard ? Pour vous, pour le nationalisme, pour la Corse ?
Il n'est jamais trop tard pour combattre pour la justice et la liberté. Elles ne sont d'ailleurs jamais définitivement acquises. Il faut sans cesse se battre pour les préserver. Depuis 2002 s'est opéré un recentrage du nationalisme, le nouveau positionnement sur des pratiques fondées sur une éthique politique, sur le pluralisme sans hégémonie, est aujourd'hui ancré dans notre peuple. Il se poursuit et restaure le nationalisme au regard des dérives passées, financières et fratricides. Il s'adapte aux nouveaux enjeux posés par la mondialisation et ses divers courants géopolitiques, économiques, financiers, culturels. Tout en s'intégrant à l'histoire de la LLN corse, il l'aborde de façon nouvelle pour permettre à la Corse de rentrer dans la modernité en étant elle-même. Après la phase actuelle de résistance à l'ethnocide et d'émancipation, suivra celle de l'institution de la nation par le peuple corse libre, inscrit dans l'Europe et le monde avec sa différence, ouvert aux autres dans leur diversité, solidaire des autres peuples, oeuvrant à une mondialisation du partage des coûts et des profits juste et fraternelle.

Photos : Pierre Murati

 

 
 

Gilles Millet

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