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L'attentat
de Corte [le 17 août dernier, une tentative d'attentat
perpétrée contre des hélicoptères bombardiers d'eau, à
Corte, a coûté la vie à deux militants nationalistes, en
blessant grièvement un troisième, ndlr] contre une société
d'hélicoptères continentale aurait-il été revendiqué s'il
avait réussi ?
Oui, évidemment. Nous avons choisi comme constante depuis 4
ans de revendiquer toutes nos actions qu'elles qu'en soient
les conséquences. La principale raison étant que l'action
clandestine est pour nous un acte politique fort qu'il est
hors de question de banaliser. Nos actions s'inscrivent
toutes dans une stratégie de lutte contre la disparition
programmée du peuple corse, chacune d'elles étant un acte
politique s'inscrivant dans une résistance collective.
L'attentat contre la société d'hélicoptères Yankee Lima
illustre particulièrement notre volonté de résistance à
l'assujettissement de notre peuple au pouvoir marchand et au
diktat du marché et de la finance mondiale.
Même s'il s'agit d'une société continentale, l'objectif
vous paraissait-il vraiment clair ?
Oui. Car l'attribution selon la loi libérale simpliste du
moins disant au détriment de sociétés corses hautement
qualifiées et de surcroît « mieux disantes », est allé cette
fois jusqu'à remettre en cause la sécurité des hommes (Y.
LIMA n'avait pas les accréditations pour le transport de
personnes mais ne se privait pas de le faire). La cible et
la période de l'action ont été motivées pour que le message
aux sociétés étrangères souhaitant spéculer sur les marchés
corses moyennant quelques subsides à des décideurs véreux
soit adressé de manière retentissante. La société Y.L, dont
le siège social est une simple boîte aux lettres, a emporté
ce marché pour 7000 euros d'écart avec des compétences
nettement inférieures. Au prix de quelles magouilles ... ?
L'objectif était donc clair : résistance aux injustices
sociales et à la loi du marché jugulant l'économie corse.
Pourquoi les corps sont-ils restés si longtemps sans être
récupérés par les pompiers, les forces de police ou même des
proches ?
Pour des raisons évidentes de sécurité, nous ne pouvons vous
donner toutes les informations attendues sur l'organisation
de cette opération ou sur notre structuration en général.
Toutefois, nous précisons que le cloisonnement du commando a
conduit à ce que l'information du décès nous ait été donnée
avec retard. Informés de leur absence et sans arrestation ni
attentat signalés, nous les avons cru en fuite. Le chef du
commando (seul habilité à prendre contact avec la structure)
ne pouvait, et pour cause, nous contacter car il était mort
sur le site de l'opération.
Après celle d'Alexandre Vincenti à Aix-en-Provence [tué
accidentellement dans l'explosion de sa propre bombe le 23
janvier dernier, ndlr], cette affaire n'indique-t-elle pas
que vous faites prendre d'énormes risques à certains de vos
militants ? Ou alors, pourquoi ce type de bavures
dramatiques peuvent-elles se produire ?
Chaque militant, chacun d'entre nous prend des risques
assumés collectivement : nous sommes tous des combattants
égaux et déterminés dans une lutte inégale au cours de
laquelle nous veillons à la protection de la population et
bien que nous soyons tous des militants aguerris à la
manipulation des explosifs, les risques sont très présents.
Les morts d'Antone, Stefanu et Lisandru sont, non pas des
« bavures » mais les conséquences dramatiques de leur
abnégation dans l'engagement.
Ne
pensez-vous pas qu'un jour ou l'autre ce type d'accidents
sanglants puisse toucher des tiers ?
Nous répétons que nous sommes soucieux dans nos actions de
la protection de la population. C'est une constante de la
lutte du peuple corse que nul ne peut contester.
D'où vient le sentiment, partagé par beaucoup, en dehors
même des explications policières, que cette affaire était
« louche » ?
« Affaire louche »... Vous voulez dire que certains, myopes
intellectuellement, ont perçu la programmation de l'attentat
au service d'intérêts particuliers et non au service de la
communauté. Cela montre que l'idéologie ultralibérale
imprègne les esprits au point que tout acte dans le secteur
économique soit évalué en fonction de sa productivité et des
intérêts personnels. Une action touchant à l'économique
pourrait être difficilement comprise d'emblée comme étant au
service du bien commun. Mais, en l'occurrence, l'attribution
du marché des bombardiers d'eau à l'entreprise française
Y.L. montre bien l'aliénation au niveau économique du peuple
corse par le système libéral. Une action protectionniste en
faveur de la Corse s'imposait contre l'application de ces
principes libéraux.
Ne pensez-vous pas que tout cela accroît un sentiment de
confusion dans la population et même chez les nationalistes
? Avec la conséquence que tout attentat, quelle que soit sa
« justesse » prétendue, est de moins en moins lisible ?
La propagande des services de l'Etat tente systématiquement
de troubler notre message. La confusion, dans la lisibilité
de nos attentats ne peut pourtant exister que chez ceux qui
ne se réfèrent pas à l'éthique de notre peuple et ne
remettent pas en question les normes et les modèles imposés
par l'Etat français et les instances néolibérales
européennes. La grille de lecture de nos attentats est dans
nos repères culturels, la justice sociale, la liberté de
notre peuple.
Pourquoi est-il, selon vous, encore utile de commettre
des attentats ? Ne s'agit-il pas simplement d'un activisme
désespéré ?
Pour nous aujourd'hui, la clandestinité, en marge des lois
et normes officielles, des raisons d'Etat et de la raison
économique, est un moyen de sauvegarde qui permet de
survivre aux aliénations politiques, juridiques,
socioéconomiques du colonialisme dans sa version
mondialisée. Vous parlez d'activisme désespéré mais c'est
l'espoir, plus encore la certitude de la victoire qui nous
fait combattre. Nous sommes des combattants de la lutte de
libération nationale corse et nous constatons l'efficacité
de nos actions : malgré la programmation de sa mort, notre
peuple vit. Et il survivra libre. Nos attentats sont une
résistance active aux multiples attaques subies par notre
peuple et un moyen d'inscrire notre culture dans le monde.
Ils servent de levier au peuple corse pour faire advenir la
nation corse.
La
multiplication des attentats n'est-elle pas le signe d'un
déficit des mouvements nationalistes publics ? D'une absence
de mobilisation, voire de résistance populaire face aux
projets jugés anti-corses ?
Il n'y a pas de multiplication des attentats. Ils existent
depuis trente ans et ils se poursuivront jusqu'à l'avènement
de la nation corse. Nous ne nous inscrivons pas en rupture
avec les mouvements publics, nous sommes nous-mêmes un
mouvement politique de résistance populaire. Nous prônons le
pluralisme : les mouvements publics (politiques,
associatifs, syndicaux) ont toute leur place dans la lutte
nationale. Il faudrait, nous pensons, qu'ils s'emploient
davantage à l'essor de notre peuple sans compromission,
défaitisme ni faux-semblant. Nous concevons la lutte dans la
complémentarité et l'horizontalité de l'ensemble de ses
composantes et moyens, tant publics que clandestins.
Certains misent sur de nouveaux pouvoirs dans l'Etat
français et les instances européennes et tentent de s'y
installer confortablement pour jouer ultérieurement le rôle
de tampon et d'interlocuteur privilégié de la Corse. Tout
cela malgré une volonté rédhibitoire de l'Etat français dans
son refus de reconnaissance du peuple corse. Souhaitons
qu'ils prennent conscience que la France et ses clans en
Corse restent des adversaires déclarés de la nation corse
avec qui il est inutile de chercher à négocier. Il faut
impulser un rapport de force avec toutes les composantes de
la résistance populaire, qu'elle soit publique ou
clandestine, afin d'accéder à une émancipation réelle et
durable.
Quels projets et quelle stratégie avez-vous maintenant ?
Sur quel terrain prioritaire doit-elle s'exercer ?
Nos moyens resteront des moyens de dissuasion et de
conscientisation politique des dangers encourus et des
assujettissements par notre peuple.
Notre stratégie est une stratégie de lutte pour la survie du
peuple corse et l'institution de la nation corse.
Elle est un processus à la fois de décolonisation et de
développement de la Corse soucieux d'établir la justice
sociale.
Un constat politique et socioéconomique est aujourd'hui
incontournable : le contexte international avec la libre
circulation des capitaux, le diktat de l'économie de marché
et la libre concurrence : la gouvernance néolibérale de
l'Union européenne ; la concentration des pouvoirs
d'encadrement de l'Etat français pour satisfaire l'impératif
d'harmonisation de l'Union européenne ; la conception
française de la république refusant la différence culturelle
et niant l'existence du peuple corse ; les possibilités non
exploitées de résistance données à la CTC depuis la loi de
décentralisation de 2003.
Ce constat nous a conduit à développer notre stratégie en
quatre axes :
- La poursuite de la sauvegarde de la terre corse en tant
que patrimoine naturel et culturel dont nous avons hérité.
Nous lutterons contre toutes les pollutions et les logiques
d'accaparement de notre terre à des fins spéculatives ne
profitant en rien au peuple corse et le soumettant à la
simpliste et inique loi du marché.
- Deuxième axe, la promotion d'un véritable plan
d'aménagement du sol et de développement durable maîtrisé
par le peuple corse avec production de richesses. Pour
l'agriculture et la pêche nous favoriserons les produits
identitaires à forte valeur ajoutée, ceux alimentant une
industrie agroalimentaire locale, ceux centrés sur le marché
corse pouvant se substituer aux importations. Nous serons
attentifs aux circuits de distribution. La forêt, poumon
écologique à préserver des incendies peut être à l'origine
d'une petite industrie durable. Le secteur secondaire doit
s'orienter vers des industries légères, prioritairement
axées sur le marché intérieur et méditerranéen. Nous
favoriserons les politiques débouchant sur l'indépendance
énergétique de la Corse et condamnons le servile branchement
Sardaigne-Corse. Dans le tertiaire, si l'apport de la
richesse touristique par la mondialisation peut être un
atout pour la Corse, il faut engager une politique de
tourisme intégré à l'ensemble du développement avec
complémentarité des différents secteurs d'activité. Ceci
implique le respect des capacités de charges dans l'espace,
des terres agricoles, de la loi littoral. Nous ferons
barrage à l'implantation spéculative des sociétés
extra-insulaires favorisant un tourisme de masse « déculturant »
et une évasion des capitaux hors de Corse. Enfin, nous
observons les institutions financières dont le rôle est
essentiel comme moteur d'un développement productif et comme
frein à la spoliation des moyens corses de transport et
d'échanges.
- Troisième axe : une répartition juste des richesses
produites en évitant les déséquilibres territoriaux, les
déséquilibres sociaux avec notamment la création d'une
nouvelle classe coloniale « cumpratore », les monopoles, les
corruptions, prévarications et divers népotismes clanistes.
- Quatrième axe : la sauvegarde des repères collectifs
(culturels, linguistiques, historiques, patrimoniaux). Ils
permettent à notre peuple de vivre, prospérer et reproduire
ses principes. Pour cela, nous combattrons un déséquilibre
démographique par colonisation de peuplement génératrice
d'acculturation, nous défendrons les droits linguistiques et
culturels des Corses contre l'Etat français ; c'est lui qui
bloque au conseil de l'Europe les définitions des critères
européens pour l'élaboration des droits des minorités et ne
ratifie pas la charte des langues minoritaires.
N'est-il pas trop tard ? Pour vous, pour le nationalisme,
pour la Corse ?
Il n'est jamais trop tard pour combattre pour la justice et
la liberté. Elles ne sont d'ailleurs jamais définitivement
acquises. Il faut sans cesse se battre pour les préserver.
Depuis 2002 s'est opéré un recentrage du nationalisme, le
nouveau positionnement sur des pratiques fondées sur une
éthique politique, sur le pluralisme sans hégémonie, est
aujourd'hui ancré dans notre peuple. Il se poursuit et
restaure le nationalisme au regard des dérives passées,
financières et fratricides. Il s'adapte aux nouveaux enjeux
posés par la mondialisation et ses divers courants
géopolitiques, économiques, financiers, culturels. Tout en
s'intégrant à l'histoire de la LLN corse, il l'aborde de
façon nouvelle pour permettre à la Corse de rentrer dans la
modernité en étant elle-même. Après la phase actuelle de
résistance à l'ethnocide et d'émancipation, suivra celle de
l'institution de la nation par le peuple corse libre,
inscrit dans l'Europe et le monde avec sa différence, ouvert
aux autres dans leur diversité, solidaire des autres
peuples, oeuvrant à une mondialisation du partage des coûts
et des profits juste et fraternelle.
Photos : Pierre Murati
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