Le
23 janvier 2009 :
(13:00
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte internationale)
Voici le
témoignage dans le Journal Le Monde de Gabrielle Hallez. :
J'ai été mise en
examen et mise sous contrôle judiciaire suite aux arrestations du 11
novembre 2008. Sur les neuf personnes inculpées, Julien [Coupat]
reste encore incarcéré. L'appel pour sa libération aura lieu dans
les jours à venir. A nouveau l'attente. Le lent dégonflement de
l'affaire continue, et une nouvelle étape a été franchie, vendredi
16 janvier, avec la sortie d'Yildune [Lévy]. Il en faudra d'autres.
Cette triste affaire aura au moins
rappelé l'obsession du pouvoir : écraser tout ce qui s'organise et
vit hors de ses normes.
Je ne
voudrais pas qu'on puisse prendre cette histoire comme un événement
isolé. Ce qui nous est arrivé est arrivé à d'autres, et peut arriver
encore.
6h40 : braquée dans mon lit.
Cagoulés, des hommes de la sous-direction de la lutte antiterroriste
(SDAT) cherchent désespérément des armes en hurlant. Menottée sur
une chaise, j'attends la fin des perquisitions, ballet absurde,
pendant des heures, d'objets ordinaires mis sous scellés. Sachez-le,
si cela vous arrive, ils embarquent tout le matériel informatique,
vos brosses à dents pour les traces ADN, vos draps pour savoir avec
qui vous dormez.
Après plus de huit heures de
perquisition, ils me chargent dans une voiture. Direction :
Paris-Levallois-Perret. Les journalistes cernent le village.
Personne ne pourra manquer d'admirer le spectacle de la police en
action, et les moyens imposants du ministère de l'intérieur quand il
s'agit de sécuriser le territoire. Quand cinq flics arrêtent un
type, ça peut sembler arbitraire, quand ils sont 150 et avec des
cagoules, ça a l'air sérieux, c'est l'état d'urgence. La présence
des journalistes fait partie de la même logique. Ce qui s'est passé
là, comme les arrestations à Villiers-le-Bel, ce n'est pas un
dérapage, c'est une méthode.
Levallois-Perret, locaux de la
direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la SDAT.
Des préfabriqués sur trois étages, superposition de cellules
spéciales, caméras panoptiques braquées en permanence sur toi.
Quatre-vingt-seize heures de garde à vue. Mais le temps n'est vite
plus un repère. Ni heure ni lumière du jour. Je ne sais pas combien
de personnes ont été arrêtées. Je sais seulement, après notre
arrivée, les motifs de mon arrestation.
Les interrogatoires s'enchaînent.
Une fois huit heures sans pause, va-et-vient de nouveaux officiers
qui se relaient. Mauvaises blagues, pressions, menaces : "Ta
mère est la dixième personne mise en garde à vue dans le cadre de
l'opération Taïga, on va la mettre en détention", "Tu ne
reverras plus ta fille". Leur bassesse n'est pas une surprise.
Ils me questionnaient sur tout : "Comment vivez-vous?",
"Comment êtes-vous organisés pour manger?", "Est-ce que tu
écris?", "Qu'est-ce que tu lis?" Ils voulaient des
aveux pour donner corps à leur fantasme de cellule terroriste
imaginaire.
Un des officiers de la police
judiciaire (PJ) m'a annoncé, lors de la perquisition : "Nous
sommes ennemis." Ennemis peut-être, mais nous ne sommes pas
leur reflet. Il n'y a jamais eu de cellule invisible, et nous
n'avons que faire de "chefs" et de "bras droits".
La police croit toujours que ce qu'elle traque est organisé à son
image, comme en d'autres temps, où elle brandissait le spectre du
syndicat du crime.
Un gendarme me lit un communiqué
allemand, diffusé le 10 novembre en Allemagne, qui revendique les
sabotages dans le cadre d'une action antinucléaire. Sabotages dont
ils veulent nous accuser. Le communiqué apparaîtra dans le rapport
de la SDAT transmis à la presse dès la première semaine, puis sera
quasiment oublié.
Au bout de trois jours, un avocat
peut venir assister le prévenu retenu sous le coup d'une procédure
antiterroriste. Trois jours pendant lesquels tu n'es au courant de
rien d'autre que de ce que la police veut bien te dire, c'est-à-dire
rien ou des mensonges. Alors oui, ce fut vraiment un soulagement
quand on m'a annoncé que je pouvais voir mon avocate. Enfin des
nouvelles de ma fille et de l'ampleur médiatique de l'affaire.
Nouvelles aussi du village et du comité de soutien créé dans les
premiers jours qui ont suivi l'arrestation.
Puis ce fut le dépôt (lieu de
détention avant de comparaître devant le juge). Là s'entassent des
centaines d'hommes et de femmes dans la crasse et l'attente. Une
pensée pour Kafka dans le dédale de la souricière, infinité de
couloirs gris et humides dont les portes s'ouvrent sur les
rutilantes salles d'audience. Je suis amenée jusqu'aux galeries
toutes neuves de la section antiterroriste pour comparaître devant
le juge d'instruction. Puis la prison.
Fleury-Mérogis – la plus grande
d'Europe. Tous les charognards gardent cette prison, pigeons,
corneilles, mouettes et de nombreux rats. Nous y sommes arrivées,
Manon (Gilbert), Yildune et moi en tant que détenues
particulièrement surveillées (DPS), ce qui implique des mesures de
surveillance plus soutenues, comme, d'être chaque nuit réveillées
toutes les deux heures, lumières allumées et sommées de faire signe.
Fouilles intensives et répétées. Ce statut, seules les prisonnières
politiques basques l'ont à Fleury, et Isa l'avait eu aussi, en
détention depuis bientôt un an sous le coup d'une procédure
antiterroriste [cette personne est soupçonnée d'avoir posé un
explosif sous une dépanneuse de la Préfecture de police de Paris, en
mai 2007]. Les fouilles au corps, le mitard, les petites
humiliations, le froid et la nourriture dégueulasse : le quotidien
de la prison est fait pour écraser.
Par un concours de circonstances
favorables, Manon et moi sommes sorties assez rapidement.
Circonstances favorables, c'est-à-dire : nous sommes blanches,
issues de la classe moyenne, ayant eu l'opportunité de faire des
études; grâce aussi à la multiplication des comités de soutien. Et
puis, il y avait l'actualité, marquée par des événements révélateurs
du climat politique actuel qui ne sont pas passés inaperçus (par
exemple cette descente policière musclée dans un collège).
Je dis "rapidement", par
rapport aux détentions préventives qui durent, pour la plupart, des
mois et des années. Qui durent, notamment, pour ceux pour qui ne
jouent jamais ces "circonstances favorables". La plupart
immigrés, voués au mépris de la police et des magistrats.
Mais ce qui est encore séparé
au-dehors arrive à se reconnaître entre les murs de la prison. Des
solidarités se nouent dans l'évidence d'une hostilité commune. La
radicalisation de la situation amène de plus en plus de gens à subir
la répression et la détention. Des rafles dans les banlieues aux
peines de plus en plus nombreuses pour des grévistes ou des
manifestants lors de mouvements sociaux.
Finalement, la prison est
peut-être en passe de devenir un des rares lieux où s'opère la
jonction tant redoutée par M. Sarkozy : "S'il y avait une
connexion entre les étudiants et les banlieues, tout serait
possible. Y compris une explosion généralisée et une fin de
quinquennat épouvantable", avait-il dit en 2006.
Gabrielle Hallez,
mise en examen dans l'affaire de Tarnac
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