Novembre
2006 : Dans le Ribombu du mois de Novembre, un article en mémoire à
ce jeune corse assassiné par un colon a été publié. Nous le publions
aujourd'hui avec l'accord du Journal U Ribombu.
« Dimmi un ti ni ne viaghji
tu… »
Aborder le thème de la terre corse, de ce qu’elle est aujourd’hui,
de ce qu’elle peut être demain est un sujet autant essentiel que
vital. Surtout pour la communauté originelle qui l’habite depuis
bien des siècles…
Ce
droit à la terre se pose toujours avec autant d’acuité. Et la
campagne mise en place il y a peu par Corsica Nazioni Indipendenti
sur la notion du foncier et de la citoyenneté corse s’appuie tout
naturellement sur la négation par la France de ce droit.
C’est ainsi pour cela que des milliers de personnes ont été
interpellées, des centaines incarcérées et lourdement condamnées,
des dizaines décédées dont parmi eux, un symbole et un exemple :
Ghjuvan Battista ACQUAVIVA.
Le pas franchi...
C’est après des arrestations orchestrées par les forces de
gendarmerie française en Balagna en 1984, que Ghjuvan Battista fait
le dur mais logique choix de se soustraire à un appareil judiciaire
étranger, préférant la liberté d’un maquis certes traqué à
l’enfermement carcéral.
Un
choix manifestement réfléchi, que son père, notre ami , Mauriziu,
aujourd’hui disparu conte en ces termes (1) :
« Je marchais sur le sentier ombragé de vieux chênes,
par une belle matinée de février 1984. Je revenais de Cariani,
parcelle de vigne éloignée de 500 mètres de notre cave, lorsque je
rencontrai jean baptiste, un sac de voyage en bandoulière.
-
Où vas-tu mon fils ?
-
Les gendarmes ont
découvert des armes dans le cimetière d’Ile – Rousse. Des copains me
les ayant montrées, il est possible que j’y ai laissé des
empreintes. Il est peut être prudent que je me mette un peu au vert…
-
Puis – je t’être
utile ? As-tu besoin de quelque chose ?
-
Non.
Au fond de la poche de mon pantalon de velours, je sentis quelques
billets, ainsi qu’un vieux couteau à cran d’arrêt. Je serrai le tout
dans mon poing, et le lui tendis. Il le prit avec un sourire ou
l’affection semblait le disputer à l’amusement.
-
Salut Papa.
-
Salut mon fils.
Il repartit. Je me retournai et le suivis du regard. Au détour du
chemin, il posa une main sur le mur et le franchit d’un bond souple
et puissant. Jean Baptiste venait de passer dans la clandestinité. »
L’affiche…
Ce
choix opéré en toute conscience, conséquence d’une réflexion
personnelle et philosophique en totale adéquation avec ses
orientations politiques, l’amène inévitablement à être recherché par
l’ensemble des forces françaises de police présentes massivement
sur le territoire corse. Sa non localisation, son aptitude à se
dissimuler tel un « poisson dans l’eau » pour reprendre la maxime
maoïste, feront que en 1987, Ghjuvan Battista figurera – prime à
l’appui – sur une sinistre affiche de militants recherchés…
Assassiné par un colon…
C’est pourtant cette même année, un mois de novembre, que la mort
met fin à son engagement militant. Durant une opération de
résistance organisée contre la ferme d’un colon, le dénommé Roussel,
Ghjuvan Battista est assassiné par le tir d’une arme de guerre à
bout portant…
Le
F.L.N.C., qui revendique l’opération, explique dans un communiqué
(2) les conditions dans lesquelles il fut assassiné : « Ralentis
dans leur progression par les dispositifs de protection installés
autour de la ferme du colon Roussel (boites de conserves suspendues
à des fils, chiens de garde…) et par de nombreux incidents
techniques qui avaient contrarié le bon déroulement de l’opération,
nos militants ayant constaté que la villa avait été soudain éclairé
puis, après quelques minutes, totalement plongée dans l’obscurité,
ont décidé de renoncer à l’action qui aurait du autrement se
dérouler sans violences physiques. Nous tenons à préciser que sur ce
type de commando, JAMAIS un militant SEUL n’investit un objectif.
Les militants agissent groupés. Pendant que le véhicule du commando
quittait les lieux, Ghjuvan battista, qui disposait d’un véhicule
personnel – la voiture retrouvée à quelques dizaines de mètres – a
quitté le dernier les alentours de la ferme. Le colon Roussel qui
avait curieusement coupé les lumières a ABATTU DELIBEREMENT notre
militant à l’extérieur de la maison alors qu’il se retirait et qu’il
n’était plus un danger pour personne. »
La
gendarmerie française assurera pour sa part le grossier montage
d’une prétendue lutte qui se serait passée dans la maison,
disculpant et protégeant le colon…
Martiriu di a causa corsa.
Après son assassinat, le F.L.N.C conçu une première affiche dont les
mots résonnent toujours dans notre inconscient collectif :
« Ghjuvan
Battista Acquaviva, cumbattenti di u Fronti, cascatu par a libartà
di a patria ».
Reprenons encore une fois à ce sujet, les écrits (3) de son pauvre
père : « Jean Baptiste était un patriote corse qui voulait
libérer son pays d’une tutelle étrangère. Il en est mort comme bien
d’autres. Ils font partie de nos martyrs, de nos héros. Ils sont
notre histoire ».
Sa
mort dans les circonstances que l’on sait, s’avère un sacrifice.
Elle nourrit cette juste cause, la cause qu’il avait sainement
épousé, à la fois spécifique et universelle, de ces femmes et ces
hommes qui donnent leur vie pour que vive tout peuple non reconnu…
Son martyr devient exemple et référence, démontrant le
désintéressement d’une jeunesse engagée pour vivre libre sur sa
terre.
L’injustice française
Du
coté judiciaire français, tout sera évidemment volontairement
entrepris pour protéger, dans la suite logique de la fuite organisée
par l’Etat Français de l’assassin présumé, le colon Roussel. La
constitution en partie civile de la famille Acquaviva pour mettre en
place une procédure afin d’obtenir un éclaircissement en justice
des causes de la mort de leur fils se heurte à l’implacable et
froide logique d’état… Le « non – lieu » résonne tel un second
assassinat… Il y a des vérités jamais bonnes à dire, à connaître, à
expliquer… Même l’Europe, dans ses instances d’ultime recours
évitera de donner une suite à cette requête de justice, confortant
ainsi la France dans sa volonté de dissimuler une situation ou le
droit et l’équité laissent place à l’illégitimité assassine et au
mensonge institutionnel...
Le droit de mémoire.
Aujourd’hui, dix neuf ans séparent l’assassinat de ce patriote de la
situation que continue de subir la Corse. Peu ou pas d’évolutions
consacrent un accaparement massif, démesuré, et risquant de faire
basculer notre île dans un schéma de dépossession collective dont
tout naturellement les Corses dans leur grande majorité, seront les
principales et particulières victimes…
Aujourd’hui, la résistance continue. Et le sacrifice de Ghjuvan
Battista garde toute son actualité tant les causes qu’il dénonçait
et combattait hier sont toujours omniprésentes. Le devoir de mémoire
se nourrit de moult exemples dont celui de ce fier patriote qui nous
a appris que l’amour d’une terre pouvait conduire jusqu’à la mort,
mais qu’elle ne sera pas vaine : Le nom de Ghjuvan Battista a été
officiellement donné et apposé à un amphithéâtre universitaire de
Corti, lieu de formation et de perspectives pour notre jeunesse tant
il est référentiel, mais plus que cela, il demeure le symbole pour
tous ces jeunes et ces moins jeunes, qui perpétuent son combat,
publiquement ou les armes à la main, pour que vive la Corse libre,
émancipée et souveraine.
Il
est toujours et plus que jamais à nos cotés.
Ulivieru SAULI
U RIBOMBU NUVEMBRE DI 2006
1 –
« L’eternu sguardu ».
2 –
Communiqué du F.L.N.C du 17 novembre 1987 ;
3 –
« L’eternu sguardu ».
Pages consacrées à ce dossier :
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Source photo :
Unità Naziunale, Archives du site.
Source info :
U RIBOMBU, Unità Naziunale
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